On a déjà vu que la teneur en eau d’un sol et le potentiel hydrique, plus précisément sa composante matricielle Ym, sont fonction l’une de l’autre. Différentes méthodes permettent d’étudier la relation entre le potentiel matriciel Ym et les humidités volumique Hv ou pondérale Hp d’un sol. Elles sont développées dans un certain nombre d’ouvrages (Musy et Soutter, 1991, Marshall, Holmes et Rose, 1999, Calvet 2003, Kirkham 2005).
L’appareil de Richards dont nous venons de décrire ci-dessus le principe peut être pris comme prototype des méthodes d’obtention des relations Hv = f(Ym). Nous n’entrerons pas dans des discussions méthodologiques sur l’établissement de ces courbes. Retenons que pour obtenir une courbe « valable », il importe de respecter précisément un protocole standard (mode de prélèvement des échantillons et leur préparation, saturation,…). Notre propos se limitera ici à une description de la forme générale des courbes Hv = f(Ym ) observées et à l’interprétation que l’on peut en donner.
Revenons à l’appareil de Richards (Fig. 7b). On a vu que le fait d’imposer une pression relative d’air Pair donnée sur les échantillons de sol, entraine un flux d’eau à travers la plaque poreuse. Ce flux d’eau cesse lorsque la pression dans l’eau est la même de part et d’autre de la plaque poreuse, c’est à dire lorsqu’elle est égale à la pression atmosphérique. Cette condition d’équilibre est réalisée lorsque la distribution de l’eau dans l’échantillon de sol est telle que partout le rayon de courbure des ménisques air-eau est donné par (voir l’équation 9) :
A l’équilibre (lorsque l’écoulement est terminé) le potentiel matriciel dans l’échantillon de sol vaut Ym= –Pair. Il suffit alors de mesurer la teneur en eau résiduelle des échantillons de sol pour obtenir un point de la courbe Hp= f(Ym) et de la courbe Hv=f(Ym) si on connaît par ailleurs la densité apparente du sol en place (Cf. équation 7bis). On voit ainsi comment l’appareil de Richards permet de déterminer expérimentalement les relations Hv= f(Ym).
Selon la gamme de pression étudiée, le matériau poreux utilisé dans l’appareil est la porcelaine ou une membrane souple (cellophane). L’appareil de Richards sous ces deux formes permet d’explorer l’essentiel de la gamme d’humidité d’intérêt agronomique (jusqu’à Pair = 8 bars, soit pF 3,9). Remarquons au passage que la connaissance du volume d’eau écoulé en réponse à chaque incrément de pression permet théoriquement de déterminer la répartition du volume poral par classes de diamètres de pores. Pour une pression de 8 bars (0,8 MPa) le diamètre des pores encore pleins d’eau est de l’ordre de 1,8 10-7 m (équation 11) soit environ 0,2 mm, ce qui signifie que cette technique permet d’explorer assez largement la distribution des diamètres des pores dans la microporosité (porosité texturale).
La figure 10 qui sera présentée plus loin (§ III.3.3) donne la forme générale de la relation Hv = f(Ym) pour trois types de sol. Cette relation est non linéaire et varie beaucoup en fonction de la texture du sol.
Enfin, lorsqu’on poursuit le dessèchement d’un échantillon de sol, il y a l’eau hygroscopique, qui est l’eau résiduelle en équilibre avec la vapeur d’eau atmosphérique. Par convention, un échantillon de sol est dit parfaitement « sec » (humidité pondérale Hp = 0) s’il a séjourné pendant au moins 24h dans une étuve ventilée à 105°C. A ce stade, l’échantillon est en équilibre hygroscopique avec l’air de l’étuve (humidité relative de l’air de l’ordre de 1%). On a pu déterminer que l’eau adsorbée principalement autour des cations compensant leur charge électrique superficielle est globalement éliminée. On peut constater avec une balance de précision qu’il se réhydrate rapidement si on le laisse à l’air libre (humidité relative de l’ordre de 50% à 70% le plus souvent). On peut alors vérifier (par diffraction et diffusion des rayons X notamment) que chaque ion Ca2+ s’entoure alors de 6 molécules d’eau (Tessier, 1984, 1991).
Rappel sur l’hygrométrie.
Nous allons rappeler quelques notions de base relatives à l’humidité de l’air : humidité absolue, pression de vapeur saturante, humidité relative et la relation qui existe entre humidité de l’air et potentiel hydrique. Ces notions nous serviront pour compléter la courbe potentiel-humidité.
Soit une masse d’air de température tair (°C) et comportant de la vapeur d’eau à la pression partielle f.
On appelle humidité absolue la quantité d’eau présente par unité de volume (kg m‑3). On peut calculer cette quantité en appliquant la loi des gaz parfaits :
fV = nRT ou encore : équation 14
n : nombre de moles de gaz présentes dans un volume V (m3)
R : constante des gaz parfaits (8,314 J.mol-1.K-1)
T: température absolue (K) T = tair + 273,16
Pression de vapeur saturante : supposons une enceinte fermée isotherme, contenant par exemple de l’air à la température Tair et un récipient d’eau. L’eau du récipient s’évapore jusqu’au moment où l’air est saturé et où l’évaporation s’arrête. A ce stade la vapeur d’eau dans l’enceinte est en équilibre avec l’eau liquide, ce qui signifie que les échanges de molécules H2O entre la phase liquide et la phase gazeuse dans un sens et dans l’autre sont de même intensité. La pression de vapeur d’eau à saturation Fsat ne dépend que de la température. Nous l’écrirons Fsat(tair) (voir Fig. 9). La formule d’Antoine donne des valeurs assez précises dans la gamme 0°C à 100 °C, sous la forme :
équation 15
Figure 9. Courbe de la pression de vapeur saturante.
On appelle humidité relative (H%) le rapport entre la pression partielle réelle de vapeur et la pression saturante. Ainsi pour f = 10 hPa et une température de l’air de 20°C, la pression de vapeur saturante étant de 23,33 hPa, l’humidité relative vaut 1000/2330 = 0,429 soit 42,9 %.
Potentiel hydrique de la vapeur d’eau
Lorsque les différentes phases d’un même corps sont en équilibre, l’eau en l’occurrence, cela signifie que le potentiel chimique est le même dans toutes les phases. Prenons l’exemple de l’équilibre entre la vapeur d’eau et une solution saline ou un échantillon de sol. Si l’on définit le potentiel hydrique comme l’énergie nécessaire pour amener l’eau liée à l’état libre, on peut dire que cette quantité d’énergie est la même, que cette transformation soit opérée en phase liquide ou en phase gazeuse. Or ce calcul est facile à faire pour la phase gazeuse : c’est l’énergie qui permet de passer de la pression f (en équilibre avec le sol) à la pression saturante Fsat(T) (en équilibre avec l’eau libre). La démonstration peut se trouver dans des ouvrages de chimie physique ou de thermodynamique. Nous n’en donnerons que le résultat :
(J kg-1) équation 16
où ln est le logarithme népérien
La figure 10 illustre comment les relations H = f(Ym ) permettent d’évaluer la gamme d’humidité utile pour les plantes, définie comme la quantité d’eau disponible entre deux valeurs caractéristiques de l’humidité : la capacité au champ (HCC) et le point de flétrissement permanent (HpFp)[1]. En première approximation la capacité au champ correspond au potentiel hydrique de -0.3 bar, soit pF 2,7 et le point de flétrissement permanent, au potentiel hydrique de -16 bar, soit pF 4,2. La valeur de -0,3 bar est en fait celle obtenue au laboratoire sur des échantillons préalablement séchés et broyés et dont la teneur en eau est « équivalente » à celle de la capacité au champ mesurée après ressuyage du sol. On reviendra plus loin (§ III.4) sur le bien-fondé de cette approximation. Les 3 flèches horizontales notées RU sur la figure 10 indiquent la gamme d’humidité utile pour chaque type de sol. On voit que pour le sol sableux grossier elle est comprise entre 0,07 et 0,1 soit 3% d’humidité volumique. Pour le sol sablo-limoneux elle est comprise entre 0,15 et 0,30 soit 15%, et pour le sol limono-argileux entre 0,23 et 0,43 soit 20%. Ces chiffres ne font qu’illustrer un phénomène très général bien connu : plus la texture est fine et plus la capacité du sol à stocker l’eau est importante.
Figure 10. Exemple de courbes expérimentales potentiel hydrique – humidité volumique pour trois types de sol.
[1] Cette notion de point de flétrissement permanent est au départ purement agronomique et s’applique aux principales plantes cultivées. Les végétaux adaptés aux régions arides, ainsi que beaucoup d’espèces d’arbres ont la capacité d’extraire de l’eau du sol à des valeurs de potentiel hydrique plus faibles, donc au-delà de la valeur de pF 4,2
La relation Hv = f(Ym) présentée ci-dessus joue évidemment un rôle majeur dans la description des transferts d’eau en sol non saturé, notamment lorsqu’il s’agit de modéliser l’évolution, au cours de la saison culturale par exemple, des composantes du bilan hydrique ou la distribution spatiale de l’eau dans le sol. L’observation montre cependant que cette relation est sujette à des variations parfois très importantes sous l’effet de différents facteurs ou phénomènes ; nous n’examinerons ici que les plus connus, la plupart étant liés à la structure du sol.
♦ La nature du matériau sur lequel le sol s’est développé. Si l’on prend l’exemple des sols du Bassin Parisien développés directement sur des roches argileuses en place, on constate que leur comportement est fortement lié à une histoire ancienne, par exemple le niveau de consolidation de la roche à l’origine du sol (Bruand et Tessier, 2000). Nous donnons ci-dessous un exemple d’horizons profonds de sols décrits dans le cadre de la carte des sols de France sur des horizons de sols développés sur un matériau parental identique du point de vue géologique (Fig. 11).
Figure 11. Relation potentiel de l’eau teneur en eau pour 10 horizons de sols argileux provenant d’un même matériau parental (d’après Bruand et Tessier, 2000). Pour un même matériau la courbe de rétention en eau peut varier fortement en fonction de son état de décompaction.
En général les horizons des sols développés sur des roches argileuses fortement consolidées deviennent plus poreux au fur et à mesure qu’on se rapproche de la surface du sol. Cette première phase de la décompaction du sol est principalement due à une diminution des contraintes exercées, au sens mécanique, sur le matériau au voisinage de la surface par rapport à celles qui ont prévalu au moment de la formation de la roche. Pour les fortes rétentions d’eau et notamment la partie du sol la plus superficielle d’autres facteurs interviennent, à granulométrie similaire, comme par exemple le remaniement du transport à une plus ou moins longue distance et à l’activité biologique. Bigorre (2000) a ainsi pu montrer que les sols en bordure des plateaux lorrains sont particulièrement poreux par rapport aux sols ayant la même composition en position de plateau (Fig. 12). C’est le cas aussi des dépôts alluvionnaires des plaines des rivières et fleuves. Des résultats similaires ont été obtenus sur des sols de boulbènes développés sur des roches argileuses dans le Sud-ouest de la France (Favrot et al., 1992).
Figure 12. Représentation schématique des sols à l’échelle du paysage dans la région de Nancy montrant la séquence de sols résultant de phénomènes d’érosion (solifluxion) développés sur lœss (limons des plateaux), sur des sols argileux résultant de la dissolution des calcaires et des sols sur pente remaniés provenant de la partie amont d’après Bigorre (2000).
Il faut noter que les dépôts lœssiques du Quaternaire typique du Nord de la France sont peu affectés par ce type d’évolution, sauf quand ils ont perdu la plus grande partie de leur teneur initiale carbonates (~30 %). La porosité « résiduelle » de ce type de matériau partiellement ou totalement décarbonaté peut alors être augmentée si on la compare à un matériau non décarbonaté (~30% de CaCO3). Dans une deuxième étape ils peuvent fortement évoluer par érosion ou migration verticale (lessivage) des particules les plus fines avec appauvrissement en argile au niveau de la couche labourée notamment (sols limoneux battants).
♦ Importance du substratum poreux. Dans les sols très peu épais développés sur des matériaux calcaires la courbe de rétention de l’eau est aussi fortement liée à la porosité du matériau calcaire sous-jacent. Si on compare la porosité et la courbe de rétention en eau des craies de Champagne à celles des calcaires lorrains l’organisation de la craie est particulièrement propice à la rétention de l’eau (Fig. 13). Bruand et Prost, 1987 ont pu montrer que l’arrangement des coccolites délimite des pores de taille très homogène et de l’ordre du micromètre. Ces pores contribuent à des remontées capillaires potentiellement très importantes. A un niveau plus macroscopique la fissuration de la craie permet l’infiltration rapide de l’eau. En revanche, pour les calcaires lorrains très proches géographiquement et géologiquement fortement consolidés, la possibilité d’extraire de l’eau par la plante est quasi inexistante compte tenu de la taille des pores du calcaire (< ~0,01 µm).
Figure 13. Craie de Champagne à coccolites. Observation au microscope électronique à balayage (D. Tessier)
♦ Le processus de fissuration des sols argileux. La figure 14 illustre la fissuration d’un sol argileux engendrée par la sécheresse à l’échelle du profil et son organisation en microscopie optique. En comparant les courbes de retrait et la variation simultanée de la porosité d’un sol de mottes et d’agrégats de différentes tailles, Bruand (1985) a pu montrer la contribution de chaque classe de pores à la structuration et à la porosité d’un sol (Fig. 15). En combinant ces données à celles obtenues par injection de mercure, il a ainsi pu déterminer la porosité remplie par de l’air et par de l’eau à chaque étape de la courbe de retrait-teneur en eau. Ce type d’étude a permis de montrer qu’une grande partie de l’eau extraite du sol entre pF = 2,5 et pF = ~5,5 induit à chaque niveau d’organisation du sol un processus de fissuration (Fig. 14). Il a été ainsi possible de montrer que la non-simultanéité du changement de volume par rapport à la porosité occupée par de l’eau permet est à l’origine de la fissuration à différentes échelles. De ce fait un horizon de sol présentant ce comportement est particulièrement accessible à la rhizosphère grâce à un réseau de fissures interconnecté.
Figure 14. A gauche : organisation d’un sol à différentes échelles. A droite : structure d’un sol argileux à l’échelle du profil (photo L.M. Bresson) et illustration de la structure au microscope optique d’un sol argileux (Bruand, 1985)
Figure 15. Courbes de retrait d’échantillons de taille micrométrique (a), millimétrique (b), centimétrique (c) et décimétrique (d) sur un horizon de sol, d’après Bruand et Prost (1987). La non-simultanéité du changement du volume par rapport à la teneur en eau induit la formation de fissures de l’échelle de l’horizon à l’échelle millimétrique.
♦ Le tassement des sols et sa spécificité. Contrairement aux mécaniciens des sols qui cherchent en priorité à limiter au maximum la susceptibilité des sols à la déformation sous les constructions, pour les agronomes le défi est de maintenir autant que faire se peut la porosité du sol disponible pour l’aération, la rétention de l’eau et son écoulement et le développement de l’activité de la faune et de la rhizosphère.
Sous l’influence d’une pression mécanique appliquée depuis la surface, le sol se déforme. Schématiquement comme l’ont montré les mécaniciens des sols, ce sont d’abord les pores les plus grands qui sont affectés (Fig. 16), réduisant leur continuité et leur connectivité. Il apparait ainsi que, contrairement à la dessiccation qui tend à ne provoquer qu’une fissuration du sol, le tassement a des effets particulièrement dégradants pour ses principales fonctions.
Figure 16. Courbe de compression mécanique d’échantillons de sols prélevés entre 5 et 25 cm de profondeur dans un sol de Boigneville cultivé en semis direct. La macroporosité des échantillons commence à s’effondrer à partir de 20 kPa et les courbes de tassement tendent à se rejoindre à une pression mécanique d’environ 100 kPa. Au-delà c’est la microporosité qui est affectée. Da désigne la densité apparente du sol.
Les travaux de Faure (1978) ont permis de définir la sensibilité des sols au tassement en fonction de leur état hydrique initial et de leur granulométrie, notamment les caractéristiques et la teneur en argile du sol. Il a pu montrer qu’il existe, pour un potentiel de l’eau donné, une teneur en eau où le matériau entre en plasticité et se déforme sous l’action de la pression mécanique exercée. Faure a aussi montré que pour différentes teneurs en argile c’est le potentiel de l’eau de l’argile qui détermine l’entrée en plasticité (Fig. 17). Faure en conclut qu’un sol sableux ou peu argileux est fortement sensible au tassement du fait qu’un apport d’eau même faible contribue à fortement augmenter le potentiel hydrique. En conséquence, il est beaucoup plus sensible à la dégradation par les engins de roulage.
Figure 17. Influence de la teneur en argile (A%) sur le seuil d’entrée en plasticité d’un matériau exprimé en humidité volumique (repris de Faure, 1978)
D’une façon générale, la courbe obtenue dépend du point de départ (conditions initiales) et de la façon dont sont opérés le desséchement ou la réhumectation. C’est ce que l’on appelle un phénomène d’hystérésis qui s’explique largement ici par le fait que tous les pores qui ont été vidés de leur eau lors du premier desséchement ne sont pas forcément immédiatement accessibles en réhumectation, pour des raisons de géométrie ou de mouillabilité. On voit en particulier qu’à égalité de potentiel, l’humidité est plus faible pour l’échantillon en réhydratation par rapport à l’échantillon en dessèchement. On ne peut donc pas considérer la relation Hv= f(Ym) comme biunivoque, loin s’en faut. Il faut en réalité considérer qu’elle occupe possiblement tout un domaine compris entre les deux courbes principales de desséchement et de réhumectation et que le point effectif dépend du parcours suivi.
Figure 18. Hystérésis de la relation Hv=f(Ym)
Le même phénomène existe dans un sol en place. Il explique notamment l’existence de situations dans lesquelles deux couches superposées du même sol, mais qui n’ont pas subi la même histoire du point de vue hydrique (l’une se réhumectant, l’autre se desséchant par exemple) peuvent être en équilibre (potentiel hydrique identique) sans cependant avoir la même humidité.
• Par ailleurs, si la partie superficielle d’un sol est globalement en équilibre avec les conditions climatiques passées, la question de l’évolution de l’état initial du sol se pose notamment dans les horizons profonds, dès lors qu’ils ont été soumis à des évènements exceptionnels (Bruand et Tessier, 2000). Cette observation a par exemple été rapportée pour les horizons argileux profonds d’une chênaie en Lorraine fortement desséchés lors de sécheresses exceptionnelles, conduisant à modifier de façon durable leurs propriétés hydriques.
Un phénomène de ce type semble se produire par exemple lorsque des sols initialement sous forêt (primaire) sont mis en culture avec leur densification. Dans ce cas précis on ne peut envisager une seule cause de cette évolution puisqu’à côté des techniques culturales, de l’implantation de cultures à système racinaire très différent de la forêt, de la perte de matières organiques, les techniques de fertilisation et de chaulage sont en mesure de modifier l’environnement physico-chimique du sol. On retrouve des résultats similaires en milieu tropical comme par exemple sous plantation de palmiers à Huile en Côte d’Ivoire décrit par Hartmann et al., 1994. Dans ce cas la mise en culture provoque une réorganisation du sol qui peut aller jusqu’au niveau de l’arrangement intra-agrégat. La fertilisation potassique a alors été mise en cause. Tavares-Filho et Tessier (1998) au Brésil arrivent aux mêmes conclusions et montrent que l’environnement géochimique lié à la mise en culture (chaulage, saturation cationique) peut en être la cause, en fonction du type de sol.
• Enfin, on sait que les années sèches sont généralement suivies, dans les sols argileux, d’une modification de leurs propriétés : ils sont plus faciles à travailler et se divisent sous l’effet de la pluie ce qui facilite généralement les semis d’automne (Fig. 19). Ce phénomène de désagrégation, appelé « slacking », survient pour des sols suffisamment séchés sur lesquels, le contact avec l’eau de pluie provoque, par éclatement des agrégats, leur désagrégation et leur transport éventuel. Une autre propriété survient après de fortes gelées pour les sols argileux ou calcaires. Dans ces différents cas il peut s’agir d’une évolution des sols à l’échelle de plusieurs saisons, voire de manière pérenne avec une incidence à terme sur le fonctionnement des sols (encroûtement de surface, érosion).
Figure 19. Désagrégation du sol de la Bouzule (en Lorraine) au contact d’eau libre (inclusion par une résine et observation au MET (D. Tessier). La désagrégation du matériau dans l’eau aboutit à des particules de taille variable allant d’agrégats aux particules élémentaires et conditionne largement leur mobilité.
La réserve utile (RU) quantifie la capacité du réservoir sol en tant que source d’eau pour les plantes. Il s’agit d’une grandeur synthétique dont la détermination suppose une description des propriétés physiques du sol par tranches ainsi que la profondeur de l’enracinement. La RU s’exprime en mm d’eau (1 mm = 1 litre par m2) ; elle est ainsi directement comparable aux termes du bilan hydrique qui s’expriment dans la même unité : la pluviométrie, l’évapotranspiration ou le drainage.
Un sol est saturé en eau lorsque l’espace occupé par la porosité est rempli d’eau. Une situation proche de la saturation peut être rencontrée temporairement après une pluie ou une irrigation importante, mais une partie de l’eau ainsi stockée ne reste pas dans les horizons supérieurs. On dit que le sol se ressuie c’est à dire que l’eau gravitaire qui occupe la macroporosité s’évacue vers le bas du profil, de sorte que l’humidité dans les couches supérieures du sol diminue rapidement. La décroissance de l’humidité ralentit ensuite et au bout d’un temps variant de quelques heures à quelques jours, l’humidité tend à se stabiliser autour d’une valeur relativement stable et caractéristique HCC que l’on appelle la capacité au champ. Toutefois, s’il y a extraction de l’eau par les plantes, l’humidité du sol décroîtra sans qu’on observe ce palier.
Cette valeur correspond bien à la limite supérieure de l’humidité utilisable puisque tout ce qui est en excès sera rapidement perdu par drainage. L’humidité d’un sol à la capacité au champ, HCC est toujours inférieure, à l’humidité à saturation. HCC dépend évidemment des propriétés de la couche de sol considérée mais aussi des propriétés des couches sous-jacentes dans la mesure où ce sont elles qui déterminent le drainage. En ce qui concerne le potentiel hydrique YCC correspondant, il est variable d’un sol à l’autre selon la texture du sol, avec des valeurs allant de quelques kPa à quelques centaines de kPa (Richards et Wadleigh, 1952), soit aussi une gamme étendue de pF allant de 1,3 à 3,4 (Tableau 4). Il est donc difficile de considérer que la capacité au champ correspond à une valeur caractéristique bien déterminée du potentiel hydrique. Malgré tout, on peut admettre qu’une assez bonne estimation de la capacité a champ est fournie par le pF 2,5 (soit Y = 0,3 bar) pour les sols de texture « moyenne » limono-argileuse. Nous verrons plus loin qu’il s’agit d’une approche reposant sur la préparation d’échantillons préalablement séchés à l’air, broyés afin d’obtenir de la « terre fine » passant au travers du tamis de 2 mm.
Par ailleurs, une relation empirique (proposée par Gras ; in Chiaveri et Gras, 1977), établie sur une large gamme de types de sol, permet de calculer l’humidité pondérale d’un sol à la capacité au champ en fonction de sa texture :
HpCC (%) = 0.59 * Argile % + 0.16 * Limons fins% + 5.47 équation 17
De nombreuses tentatives ont été menées notamment afin de tenir compte de l’organisation du sol de façon à approcher de plus près le rôle des pratiques ainsi que l’influence de l’histoire énergétique et biologique des sols.
De ce point de vue l’approche de la porosité du sol à partir de cylindres ou de mottes « non remaniées » prélevées au champ, sans être préalablement déshydratés, apparait particulièrement intéressante. La Fig. 20 montre les résultats obtenus par Quentin et al. (2001) sur des horizons de sols de la forêt de Hesse en Lorraine. Des mesures de volume apparent ont été effectuées sur des mottes de sols non remaniées et non préalablement séchées. Nous pouvons voir que la teneur à la capacité au champ est fortement corrélée à son volume massique, expression du volume apparent du sol. En outre, on peut remarquer la capacité au champ correspondrait à un potentiel de l’eau de l’ordre de - 50 kPa, ce qui est conforme aux résultats obtenus, dans les mêmes conditions, dans la littérature.
Figure 20. Teneur en eau pondérale (=humidité massique) et volume massique d’horizons de sols de la forêt domaniale de Hesse (57) à différents potentiels de l’eau (Quentin et al. 2001).
Par ailleurs Bigorre (2000) a aussi montré que les sols de Lorraine sous forêt, sont, à l’humidité à la capacité au champ plus poreux que les sols sous culture (Fig. 21). On notera par ailleurs qu’ils sont systématiquement beaucoup plus acides et donc présentent probablement un caractère plus hydrophobe que les sols sous culture.
Figure 21. Teneur en eau à la capacité au champ pour des sols de la région de Nancy respectivement sous culture et sous forêt. A volume massique d’eau identique les sols sous forêt sont plus poreux.
L’humidité la plus faible au-dessous de laquelle on considère que l’eau d’un sol ne peut plus être extraite par les plantes s’appelle le point de flétrissement permanent ; elle est notée ici HpFp[2]. Bien qu’approximative, cette notion reste utile d’un point de vue agronomique.
Dès 1859, Sachs[3] mettait en évidence que le flétrissement des plantes se produisait pour une gamme très large d’humidité selon les sols. Ces observations ayant été faites avec différentes espèces, il avait été conclu que cette eau non disponible du sol variait surtout avec les différents groupes d’espèces testées, selon leur provenance, d’une région tempérée ou aride, et donc selon leur résistance à la sécheresse, supposée plus ou moins grande. Les expériences de Briggs et Shantz (1911, 1912) ont montré que cette conclusion était erronée, la différence de capacité à extraire l’eau du sol existant entre les différentes espèces de plantes annuelles étant en réalité faible, le potentiel hydrique correspondant à cette limite étant de l’ordre de – 1,6 MPa (-16 bar, soit aussi pF = 4,2). Toutefois, on a montré que certains arbres, notamment ceux adaptés aux conditions sèches ou arides, étaient capables de prélever l’eau du sol à des potentiels significativement plus faibles, allant jusqu’à – 2,5 à – 3,5 MPa. En revanche, l’humidité correspondant à cette limite d’accessibilité est très dépendante de la texture du sol.
En fait, il est souvent peu utile de vouloir préciser davantage la valeur de YpFp. , car compte-tenu de la forme des courbes Hv = f(Ym) ou Hp = f(Ym) dans ce domaine d’humidités faibles (Cf. Fig. 10), une variation, même importante, du potentiel hydrique n’a qu’une incidence très faible sur la variation d’humidité.
Il existe des relations très utiles en agronomie permettant d’estimer le point de flétrissement permanent des sols. Les travaux réalisés dans le cadre d’études sur les relations entre les caractéristiques des sols et leurs propriétés (= les fonctions de pédotransfert) ont montré que l’on pouvait déduire de données couramment obtenues par les agriculteurs dans leurs analyses de sol, une estimation de plusieurs propriétés. Cela a par exemple permis de mieux raisonner le chaulage ou d’en déduire par ailleurs la qualité de la matière organique. Les données de la figure 22 ont été obtenues sur 250 horizons de sols issus de la France entière (Tessier et al., 1999) et montrent que l’eau « résiduelle à – 1600 kPa est corrélée à la capacité d’échange cationique (CEC), c’est-à-dire à leurs propriétés d’hydratation au niveau le plus fin de l’organisation de la phase solide. où Arg et Corg sont les capacités d’échange de l’argile et du carbone organique. Sur le plan pratique on peut donc utiliser la CEC obtenue à partir des analyses de sols pour estimer la teneur en eau à – 1600 kPa.
Figure 22. Mesure de la teneur en eau résiduelle à -1500 kPa et relation avec de la capacité d’échange cationique (CEC) d’après Tessier et al. 1999.
Par ailleurs Bigorre et al. (2000) ont pu montrer que les mécanismes de rétention de l’eau à – 1500 kPa sont similaires pour les argiles et les matières organiques. A partir de là, ils ont pu aller plus loin et estimer les propriétés respectives des argiles et du carbone organique dans leur sol à pH = 7,0.
CECsol = 37.10-3Arg + 274.10-3Corg équation 18
Où Arg et Corg sont respectivement les teneurs en argile et en matière organique en g kg-1
Du point de vue hydrique le carbone organique apparait globalement 7 fois plus réactif (13 fois en l’exprimant sous la forme de matière organique) que les argiles de ce sol, respectivement 37 cmole.kg-1 et 274 cmole.kg-1. Si la capacité d’échange cationique liée au carbone organique du sol apparait relativement constante pour différents sols à pH = 7,0, y compris les sols tropicaux, en revanche celle de l’argile des sols dépend étroitement de leur minéralogie (Bortoluzzi et al. 2006).
[2] Ces humidités « repères » peuvent s’exprimer de façon diverse, le plus souvent sous forme Hp ou Hv.
[3] Julius von Sachs (1832-1897) célèbre botaniste allemand qui fut professeur de botanique à l’université de Würzburg pendant presque trente ans. Ses travaux ont surtout porté sur la physiologie des plantes (tropismes, germination, nutrition, croissance foliaire, photosynthèse) et sur l’histoire de la botanique.
Nous venons de définir les deux valeurs caractéristiques de l’humidité des sols qui représentent les limites haute et basse respectivement du domaine d’humidité accessible aux plantes. Utilisons maintenant ces notions pour évaluer la réserve utile du sol (RU) disponible à l’échelle d’une végétation, c’est à dire la quantité maximale d’eau effectivement disponible sur le terrain après une forte pluie ou une irrigation.
Du point de vue de son fonctionnement hydrique, un sol peut être décrit comme la superposition d’horizons caractérisés individuellement par une épaisseur h, la densité apparente dap et les valeurs de HCC et HpFp caractéristiques (humidités exprimées ici en volumiques). Chaque horizon peut alors être caractérisé par une RU élémentaire, la réserve utile totale RU pour la culture ou la forêt sera obtenue par sommation des RU élémentaires sur l’ensemble du profil de sol enraciné.
Considérons une tranche de sol prospectée par les racines d’épaisseur h (m), de densité apparente dap (sans dimension) et d’humidité volumique Hv (%). Le calcul de la réserve utile s’effectue sur l’ensemble du profil de sol où les racines de l’espèce considérée sont présentes.
L’épaisseur de la lame d’eau e (m) présente dans la tranche est exprimée par :
(m)
Note : lorsque la couche de sol contient des éléments grossiers inertes vis-à-vis de l’eau avec un pourcentage Eg, il est nécessaire de les prendre en compte, en réduisant la valeur de la lame d’eau comme suit :
La réserve utile de la tranche de sol est donnée par :
(m)
ou encore en mm d’eau :
(mm) équation 19
Application numérique : calcul de la RU (mm) pour différentes configurations (texture, épaisseur de la tranche de sol enracinée). Les humidités sont exprimées ici en humidités volumiques.
- Sol sableux : h = 30 cm ; HCC =14% ; HpFp = 5% ; d’où RU = 1000 x 0,3 x (0.14 - 0,051) = 27 mm
- Sol limoneux: h = 60 cm ; HCC =33% ; HpFp = 14% ; d’où RU= 114 mm
- Sol argileux : h = 45 cm ; HCC = 45% ; HpFp = 21% ; d’où RU = 108 mm
Pour comparer plus facilement les types de sols, on ramène souvent la RU à l’unité d’épaisseur de sol, par exemple 1cm. Le tableau 5 fournit quelques valeurs de RU exprimées en mm d’eau par cm d’épaisseur de sol, pour différentes textures. On constate que la valeur de la RU varie dans un rapport de 1 à 4 lorsque l’on passe d’un sable à une tourbe.
Type de sol |
Réserve utile en mm par cm de sol |
Sableux |
0,8 |
Sablo-limoneux |
1,2 |
Limono-sableux |
1,7 |
Limono-argilo-sableux |
1,7 |
Argilo-sableux |
1,7 |
Limono-argileux |
1,8 |
Limon fin argileux |
1,8 |
Argileux |
1,8 |
Argilo-limoneux |
1,8 |
Limon fin sableux |
1,9 |
Limon fin |
2,2 |
Tourbeux |
3,2 |
Tableau 5. Valeurs typiques de la réserve utile RU (mm) observée par cm d’épaisseur de sol pour différentes textures. D’après Itier et al. (1996).
Sur le terrain, il convient d’abord de décrire individuellement les horizons qui composent le profil cultural, en termes de morphologie, épaisseur et présence de racines. Des échantillons sont prélevés qui permettront de déterminer en laboratoire les données de texture, densité apparente, gamme d’humidité utile et densité de racines par horizon.
Dans le cadre d’études sur l’impact par exemple de la mise en culture ou de changement de pratiques agronomiques il est important de pouvoir porter un diagnostic sur l’évolution du sol. Les expériences de longue durée permettent de porter ce diagnostic sur les changements induits par de nouvelle pratiques ou mise en valeur. Seuls des effets cumulés sur une grande partie du volume du sol apparaissent pertinentes et mesurables à moyen terme. En milieu tropical par exemple et sur des sols mis en culture sur la forêt primaire on constate généralement que les rendements des cultures baissent progressivement après au moins une dizaine voire une trentaine d’années.
Hartmann et al. (1994) ont par exemple montré qu’après la première plantation de palmiers à huile en Côte d’Ivoire le rendement de la seconde plantation diminue systématiquement en relation avec le tassement progressif du sol. Au Brésil on constate aussi des baisses de rendement des cultures après quelques dizaines d’années. Nos collègues brésiliens considèrent que cette évolution est une de causes de l’agriculture itinérante à partir des régions au sud, abandonnées par la grande culture vers le front pionnier du Nord.
En France, Bigorre (2000) a pu quantifier les changements sur la réserve utile sur les plateaux lorrains en comparant des sols sous forêt et sous culture. Les résultats présentés ont été obtenus sur des sols pédologiquement identiques et de profondeur comparable (Fig. 23). Il est clair que le sol est affecté par un changement de propriétés hydriques lié notamment à une modification de la porosité sur l’ensemble du profil des sols. Ces données ont permis ensuite de réaliser des bilans hydriques sur le périmètre d’approvisionnement de la nappe souterraine dans la région de Nancy.
Figure 23. Comparaison de la réserve utile, calculée sur 1 m de profondeur, d’un sol cultivé et d’un sol forestier, similaires au plan pédologique sur l’ensemble de sa profondeur d’après Bigorre (2000)..
Rôle de l’enracinement
L’eau contenue dans une tranche de sol à la capacité au champ n’est pleinement accessible aux plantes que si des racines y sont présentes et actives, de sorte que le calcul de la RU porte uniquement sur la zone directement prospectée par les racines. La répartition des racines en profondeur dépend quant à elle de la nature des cultures, de leur développement mais aussi des conditions de sol. On obtient alors la RU pour la végétation considérée en additionnant les RU partielles de chacun des horizons colonisés par les racines.
Là où les racines sont présentes, elles sont d’autant plus actives pour extraire l’eau du sol que leur densité est grande. La question peut se poser d’apporter une éventuelle pondération des RU par tranche en fonction de la densité racinaire pour le calcul de la RU globale. En général, la densité de racines décroit en profondeur, de sorte que si l’on considère une répartition initialement uniforme d’eau dans le profil, l’extraction d’eau par les racines se produit principalement et prioritairement dans les couches supérieures de sol. Ce n’est qu’après avoir partiellement épuisé les réserves de ces couches supérieures que l’extraction racinaire devient plus importante en profondeur. La variation de densité racinaire selon la profondeur induit donc un déphasage et un déplacement des horizons exploités au cours du temps.
A la base du profil de sol, à la profondeur maximale atteinte par les racines, ZRmax et même au-dessous, des échanges d’eau avec les couches sous-jacentes peuvent se produire par diffusion dans un sens ou dans l’autre :
- vers le bas en cas de drainage. A priori cette situation correspond à la recharge complète de la RU suite à laquelle l’eau excédentaire se dirige vers des couches plus profondes, éventuellement une nappe.
- vers le haut (remontées capillaires) sous l’effet de la succion des racines et donc de la création d’un gradient de potentiel hydrique.
En cas de sécheresse conduisant à un dessèchement important des horizons supérieurs, l’eau des couches sous-jacentes ou provenant d’une nappe phréatique profonde éventuellement, peut remonter par capillarité vers les horizons supérieurs et augmenter, parfois de façon importante, la quantité d’eau utilisable par les racines. Ainsi par exemple Daudet et Valancogne (1976) ont montré, au cours de la forte sécheresse de 1976, que dans un sol de limon profond cultivé en blé en région parisienne, ces remontées capillaires mesurées à 1,5 m de profondeur, ont pu atteindre 37 mm sur 8 semaines, contribuant ainsi au tiers de l’évapotranspiration réelle qui était de 112,5 mm. On verra plus loin les mécanismes de la diffusion de l’eau dans le sol (§ IV.2) qui permettent de décrire ces flux d’eau profonds. Comme dans l’étude ci-dessus, ces flux peuvent devenir quantitativement très significatifs dans le bilan hydrique, mais ils restent relativement lents vis à vis de l’absorption racinaire directe. Ces remontées capillaires, sauf dans le cas de sols avec nappe d’eau, restent toutefois exceptionnelles. Par ailleurs leur mesure nécessite des méthodes assez complexes.
Au cours d’une période de sécheresse, la plante a de plus en plus de difficultés à absorber l’eau. Son état hydrique général et en conséquence son fonctionnement s’en trouvent affectés. La régulation stomatique (voir Chap. II.5) intervient, d’abord de façon transitoire, puis toute la journée si la sécheresse devient sévère pour limiter les pertes en eau de la culture. La transpiration et la photosynthèse sont affectées en premier lieu, mais la dégradation de l’état hydrique s’accompagne très vite d’une limitation de la croissance des organes, d’où la taille souvent réduite des cultures qui manquent d’eau.
Ces phénomènes se manifestent bien avant que la RU ne soit totalement consommée. Des études menées sur des espèces agronomiques (voir la revue de Sadras and Milroy, 1996) et sur des arbres (Granier et al., 1999) ont montré l’existence d’un seuil de réserve en eau du sol au-dessous duquel la régulation stomatique de met en place. On a montré que seuil était égal à 40% de la réserve utile[4].
Remarques sur l’excès d’eau dans un sol
Là où la quantité d’eau présente dans un sol se maintient constamment à un niveau proche de la saturation, la structure du sol évolue, dans presque tous les cas, dans une direction particulière dite d’hydromorphie. L’hydromorphie résulte de l’insuffisance ou du défaut de drainage local du sol. L’engorgement du profil favorise le développement d’une microflore anaérobie qui solubilise les éléments minéraux. Lorsque l’hydromorphie est temporaire (on parle, pour les couches du sol qui en sont affectées, de pseudogley), le fer et le manganèse subissent une oxydoréduction[5] se traduisant par des taches couleur rouille lors de leur réoxydation. Si l’hydromorphie est permanente (on parle alors de gley), le fer et le manganèse reste réduit et migre. Il est alors responsable de la coloration bleu verdâtre de la partie du profil en anaérobiose permanente (Lozet et Mathieu, 1986). L’hydromorphie peut être engendrée par le manque d’infiltration des pluies, ou par la remontée de la nappe phréatique. Son origine est principalement liée à la consommation d’oxygène par les bactéries du sol dégradant la matière organique. Le régime hydrique de ces sols dits hydromorphes est souvent caractérisé par une alternance de périodes de sécheresse et de périodes d’humidité excessive.
Vis-à-vis de la croissance des plantes, le problème essentiel de ces sols est leur déficit en oxygène. D’une part la diffusion de l’oxygène est bien plus rapide dans l’air que dans l’eau, d’autre part sa concentration y est très supérieure (20 à 30 fois environ). L’excès d’eau dans un sol entraîne donc un manque important d’oxygène pour les racines, qui n’en sont plus approvisionnées qu’à partir de la partie aérienne, à travers les espaces intercellulaires des tissus. Cependant la tortuosité et l’étroitesse de ceux-ci rendent cette diffusion insuffisante. Bien qu’il existe de très fortes différences de tolérance à cette hypoxie, celle-ci entraine généralement une limitation de croissance, en particulier des racines. Ces dernières auront tendance à se développer plutôt dans les espaces du sol les plus aérés, en particulier dans les petits monticules.
L’alternance de périodes d’humidité trop faible puis trop forte accentue encore les effets négatifs de ces deux types d’excès : oxydation[6] en période d’assèchement et réduction[7] en période d’ennoyage. Les horizons du sol deviennent bariolés. Par ailleurs, le tassement du sol favorise l’hydromorphie en réduisant l’espace des pores et par là, les transferts d’eau et d’air : le milieu devenant anoxique[8] (la diminution des transferts d’air entraînant une baisse de la teneur en oxygène), l’activité microbienne est également très affectée.
[4] Certains auteurs ont qualifié de réserve facilement utilisable (RFU) la fraction de 60% d’eau « facilement » accessible par les plantes.
[5] Une réaction d'oxydoréduction est caractérisée par un transfert d'électrons entre deux réactifs : un oxydant et un réducteur
[6] L’oxydation du sol : il s’agit en fait de la perte d'un ou plusieurs électrons par une molécule.
[7] La réduction est la transformation chimique inverse de l’oxydation.
[8] Anoxie : conditions dans lesquelles l’oxygène manque (au développement d’un organisme biologique).