3. Rôles des racines
Pour extraire et conduire l’eau du sol vers la partie aérienne de la plante, celle-ci met en place un système racinaire qui doit assurer simultanément deux rôles sensiblement différents : celui de surface d’échange avec le sol pour capter l’eau qui se trouve dans le milieu extérieur (le sol), et celui de réseau de transport pour ensuite collecter et conduire cette eau vers les tiges. Les deux rôles doivent être coordonnés, en dimensionnant la surface d’échange et le réseau vasculaire de façon à ce que les résistances soient finalement équilibrées et correctement distribuées. De plus, comme la disponibilité de l’eau est généralement hétérogène dans le sol, le système doit être capable d’adapter le positionnement de ses surfaces à la distribution de la disponibilité. Cet agencement des racines dans le sol incluant leurs interconnexions est nommé l’« architecture racinaire ». La notion d’architecture racinaire inclut donc une dimension spatiale, qui décrit la forme tridimensionnelle du système, et une dimension de structure, qui décrit la diversité des racines au sein du système et la manière dont elles sont connectées.
Pour décrire la partie aérienne des plantes, nous distinguons généralement plusieurs types d’organes qui ont des structures différentes et portent différents noms (troncs, tiges, feuilles, etc.). Au niveau racinaire, il existe également une diversité, même si elle est moins évidente. De nombreux auteurs ont montré que l’on pouvait distinguer des types de racines à partir de plusieurs critères morphologiques et fonctionnels. Par exemple, les jeunes racines (ou pointes racinaires) peuvent présenter des différences de diamètre très importantes sur certaines espèces. Sur le maïs, on a des diamètres qui varient de plus d’un ordre de grandeur entre les plus fines et les plus grosses (de 0.15 à 2 mm environ). Les différences de structure sont généralement associées à des différences fonctionnelles notoires, qui portent sur plusieurs aspects comme leur capacité à transporter l’eau, la vitesse d’allongement de ces racines ou leur durée de vie. Certains auteurs ont parlé de racines spécialisées : les unes, exploratrices de nouveaux volumes de sol destinées à agrandir la zone prospectée par une plante, les autres qui exploitent au contraire les ressources locales grâce à leurs surfaces d’échange importantes par unité de biomasse investie, surfaces encore augmentées par des poils racinaires longs et denses.
Les racines de différents types sont mises en place et assemblées en une architecture racinaire lors du développement de la plante. Les processus de développement sont divers et opèrent de manière plus ou moins simultanée. Il est intéressant de les présenter séparément pour mieux comprendre leur rôle.
A la base du développement, ce sont les méristèmes (primaires et secondaires), structures spécialisées qui permettent la croissance des racines grâce à la division et à l’allongement cellulaire (voir ci-dessous). Les méristèmes primaires sont des amas cellulaires, ayant une forme d’hémisphère, qui se trouvent à l’extrémité de chacune des racines. Les méristèmes secondaires sont des couches de cellules, ayant une forme de cylindre, qui se mettent en place dans certaines racines et assurent ainsi leur croissance radiale.
Certaines espèces construisent leur système racinaire essentiellement à partir d’une seule racine (considérée d’ordre 1) que l’on trouve préformée dans l’embryon de la graine et que l’on appelle la radicule. D’autres espèces émettent régulièrement de nouvelles racines d’ordre 1 sur les tiges, par exemple sur à la base des talles (chez les Poaceae), sur des rhizomes (bambous) ou encore sur des tiges rampantes à la surface du sol (Lamiaceae). Ainsi, le système racinaire s’agrandit latéralement grâce à ces racines, en coordination avec le développement du système aérien. Les racines d’ordre 1 ainsi émises, directement connectées sur le système aérien, sont des racines de vigueur généralement forte, qui se ramifient (voir ci-dessous) et génèrent ainsi des racines d’ordre 2, qui elles-mêmes peuvent porter des racines d’ordre 3, etc.
Les racines s’allongent à leur extrémité distale (près de leur apex) grâce au fonctionnement du méristème primaire qui est en position subapicale, généralement protégé par une coiffe. Celui-ci produit de nouvelles cellules qui grandissent, ce qui a pour effet d’allonger la racine et de repousser sa pointe (avec la coiffe) plus loin dans le sol. Le processus permet non seulement l’allongement de la racine, mais aussi l’orientation de sa pointe grâce à différents tropismes, dont le plus célèbre et le mieux établi est le gravitropisme. Ainsi, les racines ont une trajectoire qui peut être guidée par la direction et le sens de la pesanteur, et non pas soumise uniquement aux nombreux obstacles qu’elles rencontrent dans le sol et qui les dévient momentanément. L’allongement des racines peut varier de quelques millimètres à quelques centimètres par jour (quand les conditions sont favorables) pour une même plante et un même sol. La durée de leur croissance est également variable suivant les types de racines, de quelques jours à plusieurs mois, voire années pour les arbres. Il a été montré qu’au sein d’une plante, il y a une corrélation positive entre le diamètre apical de la racine d’une part (qui reflète la taille de son méristème), et d’autre part la vitesse de croissance ainsi que la durée de cette croissance.
Une grande majorité de racines se ramifient, c’est-à-dire qu’elles produisent des racines latérales, ayant un diamètre souvent assez variable mais généralement plus fin que la racine qui leur donne naissance. Pour ce faire, des ébauches de ces racines (primordia) sont initiées au voisinage de l’apex le long de la racine mère, et ces ébauches se développent ensuite pendant quelques jours avant de devenir des vrais méristèmes. A ce stade de méristèmes, ils forment de nouvelles racines qui émergent latéralement de leur mère et s’allongent à l’extérieur. Grâce à la ramification, qui se produit de façon similaire sur plusieurs ordres, le nombre de racines peut augmenter très vite, ce qui donne bien souvent une profusion de racines dans un système ramifié complexe. Par ce moyen, la surface d’échange globale augmente considérablement. On peut quantifier la ramification d’une espèce via la densité linéique de ramification, qui est le nombre de racines latérales par unité de longueur de racine mère. Celui-ci varie typiquement entre 1 et 10 racines par centimètre, suivant l’espèce et les conditions du sol. Les conditions locales de sol peuvent en effet moduler la densité de ramification.
Chez les espèces dicotylédones, certaines racines peuvent accroître leur diamètre grâce aux méristèmes secondaires, que l’on appelle également des cambia (cambium au singulier). Le cambium est constitué de quelques couches de cellules ayant une forme de cylindre interne coaxial à la racine. Il se met en place le long de certaines racines principales, sur des parties âgées de quelques jours à quelques semaines. Ces nouveaux tissus, dits secondaires, ont plusieurs fonctions spécifiques. Ils contiennent de nombreux vaisseaux bien ouverts et complètent donc le système conducteur initial (primaire). Ils sont aussi dotés de propriétés mécaniques intéressantes, grâce à différentes substances (lignine, subérine), ce qui leur permet de favoriser l’ancrage de la plante et la protection externe des racines vis-à-vis de différents stress ou agressions.
Le développement racinaire se caractérise aussi par la mortalité puis l’abscission de nombreuses racines. De la même façon que les structures aériennes laissent tomber leurs feuilles, les systèmes racinaires laissent tomber une partie de leurs racines, en particulier les plus fines, qui ont donc un rôle transitoire pour l’absorption et contribuent aux litières apportées au sol. Ceci se produit en particulier chez les espèces pérennes (notamment dans les forêts et les prairies), mais pas uniquement.
Comme les racines poussent par ajout de nouveau matériel à leur extrémité distale (allongement) et pour certaines par ajout de couches cylindriques coaxiales surtout dans leur partie basale (croissance radiale), une racine donnée présente une évolution substantielle de sa structure depuis sa pointe jeune jusqu’à sa base âgée. Ce gradient d’âge et de morphologie le long des racines s’accompagne d’une évolution notoire de leurs propriétés d’absorption et de conduction de l’eau (voir ci-dessous).
Les racines portent également des poils absorbants dans leurs parties jeunes. Ceux-ci peuvent augmenter considérablement la surface d’échange avec le sol et étendre la rhizosphère. Ces structures sont économes en biomasse car ce sont des excroissances cellulaires qui peuvent atteindre plusieurs millimètres de longueur, mais ils ont une durée de vie limitée de quelques jours. Ensuite, ils se dégradent et participent donc également aux litières.
Des symbioses très importantes ont été établies entre de nombreuses espèces de plantes et des espèces de champignons et de bactéries, qui peuvent donner des capacités fonctionnelles supplémentaires. Elles participent à l’acquisition d’azote, de phosphore, voire de l’eau. Ces symbioses peuvent être extrêmement importantes chez certaines espèces comme les légumineuses ou différentes espèces d’arbres.
Les architectures racinaires sont parfois décrites de manière sommaire et globale en distinguant des systèmes pivotants et des systèmes fasciculés. Le système pivotant est dominé par l’axe nommé pivot, qui est une racine à croissance verticale, issue de la radicule de l’embryon, qui a poussé en longueur puis s’est ramifiée et épaissie surtout près de la base. Dans le système fasciculé typique au contraire, il n’y a pas de racine centrale dominante, mais un ensemble de racines sensiblement équivalentes qui partent du collet et plongent en éventail dans le sol. La répartition entre ces deux catégories n’est pas toujours évidente, car certains systèmes racinaires ont des morphologies intermédiaires, qui superposent la présence d’un pivot et de racines puissantes qui émergent plus tardivement du collet, ou bien de rhizomes, ou encore de tiges rampantes.
Ces différences de morphologie peuvent refléter des différences de stratégie de mise en place du système. Certaines espèces ont une radicule à forte dominance, qui se charge de mettre en place les racines subhorizontales, au fur et à mesure de sa descente dans le sol. D’autres espèces installent au cours de leur développement un ensemble de racines maîtresses, depuis la base de la plante. Les réseaux vasculaires qui découlent de ces 2 stratégies sont bien différents : dans le premier cas, on a un collecteur commun (le pivot) qui doit avoir de fortes capacités de conduction puisqu’il doit collecter et conduire l’ensemble du flux, tandis que dans le second cas le réseau est parallélisé avec une multitude de conducteurs équivalents qui ne collectent qu’une partie du flux. Ces différences de stratégies et de structure sont associées avec des différences dans la croissance radiale, qui est obligatoire pour le cas des systèmes pivotants, alors qu’elle est absente dans le cas des systèmes fasciculés les plus typiques (monocotylédones).
Outre ces deux grandes stratégies qui sont classiquement distinguées, il existe une diversité importante au sein des systèmes racinaires, qui concerne de nombreux traits, comme la différentiation des types racinaires, la densité de ramification ou encore la capacité à faire des racines de diamètres variés.