Liaison entre les efficiences de l’eau et de l’azote.
Selon les travaux de Gosse et al. (1986), Bélanger et al. (1992) et Muchow & Sinclair (1994) la biomasse d’un couvert végétal (B) augmente proportionnellement à la quantité de rayonnement photosynthétiquement actif qu’il intercepte (∑PARi ):
B = εb ∑PARi (4)
Le terme εb représente l’efficience de conversion du rayonnement intercepté en biomasse (kg.MJ-1). Si l’on considère que l’azote nécessaire à l’élaboration de la biomasse doit être absorbé par la plante (Nabs) avant d’être métabolisé, l’efficience d’utilisation de l’azote par une culture (NUE) peut être exprimée selon deux composantes :
NUE = dB/dNdisp= (dNabs/dNdisp) (dB/dNabs) = NAE x NCE (5)
Avec Nabs la quantité de N absorbé par la culture (en kg N ha-1) et Ndisp la quantité de N disponible, NAE l’efficience d’absorption de N par la culture, et NCE l’efficience de conversion de N absorbé en biomasse. Sadras et al. (2016) ont exprimé la synergie existante entre l’efficience de transpiration (EffT exprimée en kg de matière sèche par mm d’eau transpiré et l’efficience de conversion de l’azote (NCE) d’une culture en divisant les deux termes de l’équation (4) par T (exprimée en mm d’eau), la quantité d’eau transpirée par la culture durant le même laps de temps:
EffT = B/T = εb ∑PARi /T (6)
Par ailleurs puisque EffT = B/T et NCE = B/Nabs, alors on peut écrire :
EffT = NCE . Nabs/T (7)
Ainsi l’efficience de transpiration d’une culture est reliée linéairement à son efficience de conversion de l’azote, mais surtout elle dépend du rapport Nabs/T c’est-à-dire de la concentration apparente en azote de l’eau qui transite dans la plante depuis le sol jusqu’à l’atmosphère par le flux de transpiration.
Lemaire et al. (2008) ont montré que pour la plupart des plantes cultivées il existe une relation de type puissance entre la biomasse atteinte en condition de nutrition azotée non-limitante (Bc) et la teneur en azote de la plante dans ces conditions, soit %Nc = 100*Nc/Bc :
% Nc = a (Bc)-b (8)
Le niveau de nutrition azotée d’une culture peut alors être déterminé par l’Indice de Nutrition N (INN) qui mesure le rapport entre la teneur « actuelle » en N de la plante (%Na = 100*Na/Ba) à la teneur « critique » en N , %Nc (c’est à dire le minimum de teneur en N qu’un plante doit avoir pour obtenir une croissance maximale), correspondante au niveau de biomasse atteint par la culture à l’instant « t » (Ba) conformément à la courbe critique de dilution de N de l’espèce considérée (équation 1, Lemaire et al. 2008) :
INN = %Na/%Nc (9)
Il est ainsi possible de suivre la valeur de l’INN d’une culture tout au long de sa croissance et de déterminer les périodes de déficit de nutrition N (soit lorsque INN<1).
En réinterprétant les données de Lemaire & Denoix (1987) sur les espèces fourragères, Kunrath et al. (2018) ont montré que la restriction de l’alimentation hydrique se traduisait la plupart du temps par une diminution de l’INN aussi bien pour les graminées recevant des doses différentes de N sous forme d’engrais que sur la luzerne dont la nutrition azotée est assurée essentiellement par la fixation symbiotique de N. Des résultats analogues ont été obtenus sur des cultures de maïs et de sorgho par Lemaire et al. (1996). Garwood & Williams (1967a,b) et Colman & Lazemby (1975) avaient montré expérimentalement que l’assèchement des horizons superficiels du sol de prairies en situation de sécheresse, là où sont localisées essentiellement les formes minérales de N et de P, pouvait conduire à des limitations de croissance des plantes alors que celles-ci sont encore capables d’assurer un flux de transpiration non limitant en ayant accès à l’eau encore disponible dans les horizons profonds. En injectant du N et P minéral dans les horizons profonds ces auteurs obtenaient une résorption totale de l’effet « sécheresse » prouvant ainsi que celui-ci était bien dû à une indisponibilité de N et P minéral des horizons superficiels du sol.
Figure 3 : Relation entre le prélèvement d’azote (N kg/ha) par une culture de maïs (1) ou de sorgho (2) et la quantité d’eau transpirée (T mm) en condition irriguée (noir) ou non-irriguée (gris). Les courbes tracées N = 5,47(T)0,63 pour le maïs et N = 6,03(T)0,61 pour le sorgho représentent le prélèvement de N minimal pour obtenir la croissance maximale et correspondent donc à INN=1 (Données recalculées d’après Lemaire et al. (1999)).
Il convient donc dans l’analyse de l’effet de la sécheresse sur la production végétale, de séparer la part de la réduction de biomasse liée directement à la réduction de la transpiration de la plante, de la part indirecte qui résulte d’une diminution de son niveau de nutrition azoté. La courbe de dilution de N (équation 8) permet d’exprimer le prélèvement minimum d’azote d’une culture (Nc en kg/ha) nécessaire pour assurer sa production maximale de biomasse Bc (en t/ha):
Nc = 10 . a (Bc)1-b (10)
Le facteur 10 introduit dans cette équation tenant compte du fait de la différence d’unité mesurant Nc et Bc. Et si on admet que dans ces conditions de nutrition azotée non-limitante on obtient une valeur maximale de l’efficience de transpiration EffT, alors :
B = EffT * T (12)
et Nc = a(EffT)1-b . T1-b (13)
Les résultats de la figure 3 permettent d’interpréter les différences d’effets de la sécheresse sur l’efficience de transpiration entre le maïs et le sorgho constatées à la figure 2. La sécheresse a provoqué sur le maïs une restriction de disponibilité en N suffisamment forte pour que son état de nutrition azotée devienne un facteur limitant (INN<1) supplémentaire au manque d’eau pour réduire sa croissance, alors que pour le sorgho, étant donné la capacité intrinsèque du système racinaire de cette espèce pour capturer l’azote du sol, cet effet de la restriction d’eau sur son niveau de nutrition azotée n’a pas été limitante (INN proches de 1).
Ces résultats montrent que le manque d’eau en soi ne modifie pas fondamentalement l’efficience de transpiration de la plante, mais qu’il diminue indirectement le niveau de nutrition azotée de celle-ci par son effet sur l’accessibilité de l’azote minéral pour les racines et/ou son effet sur la capacité des nodosités à fixer l'azote atmosphérique. Ainsi, le dessèchement des horizons les plus superficiels du sol, là où les concentrations en NO3- et NH4+ sont les plus élevées et où se situent les nodosités des légumineuses, peut provoquer une diminution de la nutrition N de la culture alors que les plantes peuvent continuer à extraire de l’eau des horizons profonds pour assurer leur demande transpiratoire. Ceci est d’autant plus significatif que le système racinaire des cultures est efficace en profondeur opposant ainsi des cultures à enracinement superficiel, comme le pois, à des cultures à enracinement profond comme la luzerne, le sorgho et le tournesol (Dardanelli et al. 1997 ; Cabelguenne & Debaeke 1998 ; Fan et al. 2016). La sécheresse interagit donc avec la nutrition azotée des plantes par deux voies : (i) en diminuant la demande en azote du fait de la restriction de croissance liée à la diminution du flux transpiratoire, ce qui se réalise à efficience de transpiration constante ; et (ii) en diminuant la disponibilité en N de la plante et donc son niveau de nutrition N, ce qui abaisse du même coup son efficience de transpiration. Ainsi lorsque l’on compare deux espèces différentes comme le maïs et le sorgho on peut obtenir des différences d’efficience de transpiration qui ne sont pas liées intrinsèquement à des différences physiologiques mais sont seulement induites par des différences dans leurs capacités à prélever l’azote dans un sol soumis au déficit hydrique. Ces différences entre espèces peuvent aussi se retrouver entre génotypes et être exacerbées ou au contraire amplifiées par des conditions de milieu ou des modes particuliers de conduite de culture. Pour les plantes non-fixatrices de N2, cet effet va dépendre de la localisation de N minéral dans le sol. Il sera maximum si l’azote est essentiellement localisé dans les horizons superficiels où il sera rendu rapidement indisponible alors que la plante pourra s’alimenter en eau dans les couches profondes…mais il sera minimisé ou inexistant si l’azote minéral a migré en profondeur. Il conviendrait également de prendre en compte les autres éléments nutritifs tels que P dont la mobilité est nettement moindre que celle de N et qui pourrait donc accentuer dans certains cas l’effet « sécheresse ».