4. Interactions sol – racines
Le sol présente de nombreuses propriétés qui définissent les conditions que vont rencontrer les racines pendant leur développement, et qui contribuent à moduler ce développement. De plus, le sol est un milieu hétérogène, surtout quand il est vu à l’échelle de la racine. Parmi cette multitude de propriétés susceptibles d’affecter le développement racinaire, nous prendrons seulement 3 exemples de conditions qui ont une importance primordiale, et qui interfèrent notoirement avec l’eau dans le sol.
La température est une variable importante, car elle module la vitesse de développement des organes en général, et des racines en particulier. Dans une gamme assez large, les vitesses de développement et de croissance sont linéairement corrélées avec la température. Au-delà d’une certaine température, souvent qualifiée d’optimale, l’influence de l’augmentation de température devient moins sensible, voire négative. Le sol présente en général des gradients marqués de température avec la profondeur qui s’inversent suivant les saisons. De plus, les températures des horizons profonds sont très tamponnées. En pays tempérés, elles sont donc relativement chaudes à la sortie de l’hiver et relativement fraîches pendant la saison de croissance. En surface par contre, les racines vont être sensibles au réchauffement du sol au printemps, réchauffement qui dépend en partie de la quantité d’eau qu’il contient.
Pendant son cheminement dans le sol, la pointe racinaire emprunte en partie la porosité existante (pores biologiques, fissures) dès lors qu’elle rencontre des pores à sa dimension (typiquement entre 0.1 et 1 mm). Sinon, elle doit se frayer un chemin en créant ou en agrandissant des micropores. Dans ce cas, les propriétés mécaniques du sol deviennent déterminantes pour sa capacité de croissance. Ainsi, les zones de sol compacté dont la macroporosité est réduite deviennent des freins à la progression des racines. Les plus puissantes vont avoir un allongement réduit tandis que les plus faibles seront arrêtées. Quand le sol contient davantage d’eau, il devient en général moins cohérent et plus plastique et donc plus facile à pénétrer, et ceci d’autant plus qu’il contient plus d’éléments fins (argiles en particulier). Il y a donc des interactions fortes entre le niveau de compactage d’un sol, son humidité, sa texture, et sa résistance à la pénétration des racines. Un sol argileux compacté et sec peut devenir complètement impénétrable aux racines, alors qu’un sol sableux peut rester relativement plus pénétrable. Comme, en plus, les racines qui prélèvent de l’eau vont tendre à assécher le sol autour d’elles, on peut penser qu’elles vont en même temps le rendre plus résistant d’un point de vue mécanique. Les racines individuelles ont des stratégies pour pénétrer les zones compactées : elles adaptent la forme de leur pointe, elles peuvent serpenter, elles lubrifient leur coiffe et la laissent perdre quelques cellules à sa périphérie, elles développent des poils absorbants qui peuvent les aider à s’ancrer localement pour mieux pousser. Notons qu’il existe de grandes variations entre espèces quant à la capacité à pénétrer des sols résistants d’un point de vue mécanique. Cette variabilité d’origine génétique pourrait être intéressante à utiliser pour faire face aux problèmes rencontrés en agriculture à cause du compactage des sols.
L’oxygène permettant d’alimenter la respiration des racines, et d’assurer ainsi l’ensemble de leurs fonctions dont la croissance, est parfois manquant dans les sols. On parle d’hypoxie, qui survient en particulier quand les sols sont ennoyés par l’eau et/ou quand ils sont compactés. Inversement, quand le sol se dessèche, une partie de la porosité est libérée par l’eau et devient disponible pour la circulation de l’air et de l’oxygène. Il faut noter la très grande diversité parmi les espèces végétales à se satisfaire de ces conditions d’hypoxie. Certaines espèces de riz, par exemple, sont très bien adaptées grâce notamment à des tissus particuliers (aérenchymes) qui permettent de faire circuler l’air au sein de la plante. Dans certains sols compactés, il semblerait que l’hypoxie et la résistance mécanique aient des effets synergiques pour empêcher les racines de pousser.
La rhizosphère est la zone de sol à proximité des racines directement influencée par celles-ci, à la fois biologiquement, chimiquement et physiquement. Cette rhizosphère peut former une gangue de sol adhérant aux racines. C’est un lieu d’échanges intenses (eau, éléments minéraux), avec en particulier l’exsudation de composés carbonés par la plante (sucres, acides aminés, exopolysaccharides…) au niveau des racines qui peut représenter jusqu’à 30% de la photosynthèse. Cet apport en carbone dans le sol stimule fortement l’activité microbiologique, qui va impacter considérablement l’ambiance géochimique de la rhizosphère par rapport au sol plus éloigné des racines. En relation avec l’eau, l’activité biologique dans la rhizosphère peut générer des composés organiques qui modifient les propriétés hydriques du sol. Ce peut être des surfactants, comme des phospholipides, qui diminuent la tension superficielle de l’eau et peuvent diminuer la capacité de rétention d’eau du sol ou en diminuer la conductivité hydraulique en non-saturé. Ce peut être également des exo-polymères, surtout des exo-polysaccharides, qui, d’une part, par leur forte capacité d’absorption d’eau peuvent augmenter la rétention hydrique du sol et, d’autre part, devenant hydrophobes quand ils sont secs, peuvent déconnecter hydrauliquement la racine du sol plus ou moins longtemps lors d’une sécheresse et retarder la ré-humectation qui suit. Enfin, la conjonction des variations d’humectation / dessiccation avec la production de composés carbonés type exo-polymères peut fortement restructurer le sol à proximité des racines, sa distribution porale pour arriver à la formation d’agrégats et de rhizosheaths (gangue de sol adhérent aux racines). Cet ensemble de modifications des propriétés du sol, impactant les transferts d’eau sol-racine est très mal pris en compte actuellement, car difficile à quantifier, variable dans l’espace le long des racines et dans le temps suivant la croissance de celles-ci.