On rappelle les grandes lignes du fonctionnement des plantes. La photosynthèse permet aux plantes d’absorber le CO2 atmosphérique et de synthétiser des sucres grâce à l’énergie solaire reçue par les feuilles, mais elle s’accompagne d’une très importante perte d’eau par transpiration. Ces échanges gazeux foliaires sont à l’origine des deux flux de sève qui parcourent toute la plante en sens inverse l’un de l’autre : le flux de sève brute alimenté par l’eau du sol circule dans les vaisseaux du xylème et répond à la demande transpiratoire des feuilles alors que la sève élaborée assure la distribution des produits de la photosynthèse aux organes puits via les tubes criblés du phloème. Xylème et phloème forment un double réseau extrêmement imbriqué.
Sève brute et sève élaborée s’opposent par leurs propriétés, la nature des voies de circulation qu’elles empruntent (xylème / phloème ; apoplasme / symplasme) et par les mécanismes mis en jeu dans leur mouvement. La théorie de la tension-cohésion rend compte de la montée de la sève brute à de très grandes hauteurs dans les arbres. La circulation de la sève élaborée dans les tubes criblés s’explique selon Münch (1930) par l’équilibre osmotique qui engendre un gradient de pression dans le phloème en fonction de l’activité des sources et des puits de carbone (sucres).
Les principes d’un modèle physique de circulation de ces deux sèves dans la plante sont rappelés. La plante y est vue comme un réseau d’éléments conducteurs (xylème / phloème ou plus généralement apoplasme / symplasme), organisés selon une architecture déterminée. Le flux de sève brute est associé au gradient de potentiel hydrique Y dans le xylème alors que la sève élaborée circule en réponse au gradient de pression de turgescence P dans le système phloémien. La description de ces deux flux impose de distinguer les compartiments apoplasme et symplasme caractérisés chacun par la variable d’état Y ou P respectivement.
Le carbone est réparti en trois compartiments : carbone structural, carbone de réserve et carbone soluble (sucres). Le fonctionnement carboné du modèle décrit les activités source / puits des organes et les échanges entre compartiments. C’est le flux de sève élaborée qui entraine le mouvement des sucres solubles. Le couplage entre le fonctionnement hydrique et le fonctionnement carboné passe notamment par la pression osmotique qui dérive du bilan de carbone et qui intervient dans le calcul de la pression de turgescence.
Un modèle dérivé de ces concepts permet potentiellement de décrire de nombreux phénomènes (croissance, gestion des réserves, …) et de simuler par exemple la réponse des plantes à différentes situations (sécheresse, photopériode …). Il a été appliqué ici à la description de la croissance diamétrale de jeunes arbres soumis (virtuellement) à deux expériences : a) double décortication annulaire et b) variation de la photopériode. Une expérimentation sur de jeunes arbres en chambre de culture a servi au calage de certains paramètres du modèle. Les simulations de variation du diamètre des troncs sont présentées.
Nous abordons dans ce chapitre l’étude des flux de sève dans la plante dans un but de modélisation. La notion de sève évoque le plus souvent la sève brute qui provient de l’absorption de la solution du sol par les racines ; c’est une solution aqueuse faiblement minéralisée qui circule dans le xylème (vaisseaux du bois) (cf. chapitre II.2) jusqu’aux feuilles où elle alimente la transpiration. Mais il existe par ailleurs une autre sève, dite sève élaborée, très riche en substances dissoutes, qui circule dans le phloème et dont la fonction est de distribuer dans toute la plante les produits (sucres notamment) dont les différents organes ont besoin pour fonctionner et croître.
Ces deux sèves répondent à deux besoins fondamentaux des plantes : s’alimenter en eau et en éléments minéraux d’une part (rôle de la sève brute), distribuer les produits du métabolisme dans tous les organes en fonction des besoins particuliers de chacun d’autre part (rôle de la sève élaborée). Elles s’opposent à tous points de vue : sens de circulation, propriétés chimiques et physiques, mécanismes de circulation, nature des tissus conducteurs empruntés … Mais les flux de l’une et de l’autre sont étroitement commandés par le fonctionnement foliaire : photosynthèse et transpiration.
Nous rappellerons d’abord succinctement quelques principes fondamentaux du fonctionnement des plantes afin de mieux comprendre les relations étroites qui existent entre photosynthèse et transpiration, et plus généralement entre ce que l’on appelle couramment les fonctionnements carboné et hydrique de la plante. Nous étudierons ensuite la circulation des sèves sur la base des notions et mécanismes physiques présentés en détail aux chapitres I.2 et I.4 notamment. Nous proposerons enfin une modélisation de ces flux de sève comme approche intégrative du fonctionnement d’ensemble de la plante.
Le corps du texte principal présente les notions de base. On trouvera au chapitre « COMPLEMENTS » des développements plus techniques.
Qu’est-ce qu’une plante et comment fonctionne-t-elle ?
Les plantes sont les principaux organismes autotrophes terrestres, capables de fixer le carbone minéral présent dans l’atmosphère sous forme oxydée (le gaz carbonique ou dioxyde de carbone, CO2) et de l’incorporer dans la matière vivante après réduction, grâce au phénomène de photosynthèse qui a lieu majoritairement dans les feuilles vertes chlorophylliennes en présence de lumière et qui permet de transformer l'énergie lumineuse reçue, en énergie chimique sous forme de carbohydrates principalement.
Les premiers produits de la photosynthèse sont des sucres à 3 ou 4 atomes de carbone selon les types de plantes (plantes dites en C3 ou en C4), mais ceux-ci sont rapidement transformés en glucose (sucre en C6) puis en saccharose (sucre « ordinaire » en C12) qui est la forme circulante la plus courante de sucres dans la plante. Ces sucres solubles peuvent être stockés transitoirement dans les feuilles, sous forme soluble dans les vacuoles ou condensée et insoluble (amidon,…) dans les plastes, ou exportés vers les organes non photosynthétiques.
Au cours de la vie de la plante, le « métabolisme secondaire » assure la synthèse d'une multitude de molécules complexes et variées propres à chaque plante et à chaque organe (polysaccharides, amidon, cellulose, lignine, lipides, vitamines, pigments, etc.). Les atomes C (« briques » carbonées) utilisés pour ces synthèses sont tous d'origine photosynthétique : sucres solubles ou leurs dérivés condensés plus ou moins insolubles (amidon, inuline, glycanes ...). Utilisés par ailleurs comme substrat dans la respiration (cycle de Calvin), ce sont ces mêmes sucres qui procurent l’énergie nécessaire aux synthèses en question.
Le fonctionnement de la plante suppose donc une redistribution des sucres et autres molécules solubles jusque dans les moindres organes vivants pour alimenter le métabolisme de chaque cellule. C'est la sève élaborée qui assure cette redistribution. Elle circule principalement dans le phloème, ensemble de tissus conducteurs spécialisés qui forment un réseau étroitement associé à celui du xylème et parcourant comme ce dernier l'ensemble de la plante. Mais, en dehors du phloème proprement dit, la redistribution des métabolites s'effectue de façon diffuse par la voie symplasmique dans l'ensemble des cellules qui communiquent entre elles par les plasmodesmes.