Cette démarche comporte deux étapes qui répondent à deux questions distinctes. Quels sont les gènes et leurs allèles qui déterminent un caractère donné ? Dans quels scénarios climatiques ces caractères (et les allèles qui les déterminent) sont-ils les plus favorables ?
Si on arrive à répondre à ces deux questions, on génère ainsi des « kits » de gènes qui déterminent les caractères d’intérêt. Les sélectionneurs associent ensuite ces allèles pour créer des variétés adaptées à une région donnée du monde (sélection génomique). Une partie importante de la sélection se fait alors in silico (c’est-à-dire par simulation sur ordinateur), par simple connaissance des allèles testés. Seules les combinaisons les plus prometteuses sont testées in vivo au champ.
Cette stratégie évite la manipulation de millions de plantes, et permet ainsi d’accélérer le progrès génétique (Heffner et al., 2010). Elle est développée dans plusieurs projets actuels, européens ou nationaux, comme le projet UE FP7 Drops[2], qui associe des équipes de recherche publique de neuf pays et cinq compagnies semencières.
La première étape consiste à associer des gènes et leurs allèles à des comportements de la plante (sensibilité de la croissance foliaire ou des stomates au déficit hydrique…). L’association entre allèles et comportements se fait avec des méthodes statistiques, ce qui nécessite de grandes collections de plantes, de l’ordre de 250 lignées. Plusieurs types de collections sont utilisés, soit des croisements entre des lignées d’origines différentes, soit des collections de lignées génétiquement très diverses provenant de différentes régions du monde. Il faut d’abord caractériser le génome de toutes les lignées, ce qui est facilité par les progrès rapide des techniques de génotypage. Ceci permet de déterminer quelles lignées portent quels allèles. Il faut ensuite caractériser le comportement des plantes, dans des conditions aussi reproductibles que possible. On utilise pour cela des plateformes permettant de mesurer automatiquement la transpiration et la croissance de milliers de plantes en fonction des conditions climatiques et de la sécheresse du sol. Plusieurs types de plateformes existent, soit en conditions très contrôlées pour des plantes modèles[3] (Granier et al., 2006), soit en conditions fluctuantes qui simulent celles du champ[4]. Dans l’exemple de la plateforme PhenoArch[5] (voir la photo), 1650 plantes peuvent être suivies conjointement. Les conditions climatiques (lumière, température, sécheresse de l’air) en chaque point de la plateforme sont mesurées ou modélisées en temps réel (Cabrera-Bosquet et al., 2016), ainsi que la teneur en eau du sol. Le dispositif mesure tous les jours l’accumulation de biomasse, la transpiration mais aussi l’interception du rayonnement solaire, l’orientation des feuilles, et le degré de déficit hydrique de chacune des 1650 plantes. Des expériences de ce type permettent d’identifier les régions du génome associées à la résilience de la croissance foliaire, à la sécheresse de l’air ou du sol (Welcker et al., 2011), ou encore à la capacité de la plante à maintenir une surface foliaire en déficit hydrique, au travers de plusieurs mécanismes (division cellulaire, expansion...) (Tisne et al., 2010). Un projet « investissement d'avenir », PHENOME[6], est en cours, et permet à la France de s'équiper d'un réseau cohérent de plateformes de phénotypage au champ et en conditions contrôlées.
La seconde étape consiste à simuler le comportement des plantes à partir de leurs allèles. On utilise pour cela des modèles numériques qui prévoient la transpiration, la croissance et le développement des plantes à partir des conditions environnementales (Brisson et al., 2003, Hammer et al., 2010). Ces modèles servaient traditionnellement à prédire les rendements de variétés de référence en fonction des conditions climatiques. Ce n’est que récemment qu’ils ont été améliorés pour prendre en compte les caractéristiques génétiques des plantes dans la prévision de la transpiration et du rendement. On peut par exemple simuler l’effet de gènes qui affectent la sensibilité de la croissance foliaire au déficit hydrique (Chenu et al., 2009). Des plantes virtuelles, dotées de différents allèles dans des régions génomiques données, ont été testées sur une période de 40 ans, selon différentes pratiques culturales. Il a ainsi été possible d’évaluer l’effet des allèles considérés sur le rendement, sur une durée qu’il n’est pas possible d’étudier expérimentalement. Outre la variabilité des effets d’un allèle donné selon les années, il a été observé que les stratégies conservatrices (économie de l’eau) étaient moins favorables en moyenne que celles plus risquées, favorisant la croissance.
La plateforme de phénotypage PhenoArch. Les 1650 plantes sont situées sur des convoyeurs qui leur permettent de se déplacer vers des balances (mesure de la transpiration) et des stations d'imagerie (évaluation de la surface foliaire, de la biomasse et de l'architecture de la plante). Notez les capteurs (cylindres en hauteur) qui mesurent le rayonnement, la température et l'humidité relative de l'air toutes les minutes.