Venons-en maintenant à ce qui se passe, d’un point de vue hydrique, à l’échelle de la parcelle avant d’aborder l’échelle du bassin versant. L’eau de pluie (complétée éventuellement par l’eau d’irrigation) est en grande partie stockée dans le sol ; ce qui ne l’est pas s’écoule latéralement par ruissellement superficiel. L’eau absorbée par le sol sert à l’extraction par les racines pour entretenir l’évapotranspiration réelle des plantes (voir diapositive 4) et, secondairement, l’évaporation directe de l’eau à la surface du sol humide. S’il y a trop d’eau dans le sol par rapport à sa capacité de stockage (voir diapositive 10), l’eau percole vers la profondeur pour alimenter les nappes phréatiques (on parle le plus souvent de drainage vers la nappe bien que ce terme serve aussi pour le drainage artificiel au moyen de drains enterrés). (Notez qu’en période très sèche (1976, 2003) on peut avoir le phénomène inverse, c’est-à-dire la remontée d’eau par capillarité depuis la profondeur du sol).
Entre deux périodes, l’évolution du stock en eau du sol ( dans la partie explorée par les racines) obéit à l’équation du bilan hydrique portée sur la diapositive :
Variation de stock = entrées – sorties : ∆S = P (+Irr) - ETR - D
On peut ainsi différencier l’eau « verte » qui sert au fonctionnement des couverts végétaux (l’ETR) et l’eau qui alimente les aquifères de différentes nature (nappes, rivières), l’eau « bleue » qui est constituée de la somme du ruissellement et du drainage*
----------------------------------------------------------------------------------------------
* On verra ci-dessous qu’il faut distinguer eau bleue et restitution au milieu car cette dernière prend en compte algébriquement l’eau d’irrigation
A l’échelle du bassin versant, on retrouve les mêmes termes qui correspondent à la somme de toutes les contributions de la mosaïque du paysage.
On a coutume de parler de pluie efficace (au sens hydrologique) pour la somme du ruissellement et du drainage. Le rapport de la pluie efficace à la pluie réelle est voisin de 1/3 à l’échelle du territoire français (complémentaire du rapport ETR/P ~2/3 vu en diapositive 5 de la partie IV.1. : Un peu d’écophysiologie). En zone irriguée, il est important de faire la différence entre pluie efficace et restitution au milieu. En effet, si l’eau d’irrigation provient du bassin versant lui-même (pompage de nappes, irrigation à partir de rivières non alimentées par de l’eau extérieure au bassin), il faut compter négativement l’irrigation dans ce terme. Ainsi, sur parcelle irriguée en zone méridionale, si la consommation en eau annuelle est supérieure aux précipitations, on peut avoir localement des restitutions au milieu négatives.
Mesurer l’évapotranspiration réelle n’est pas chose facile (techniques de laboratoire, à disposition de spécialistes). On va plutôt chercher à l’estimer en procédant par étapes : obtenir des services météo un référentiel microclimatique (appelé ETo ou ETP) traduisant la demande atmosphérique (l’offre étant la pluie), l’adapter à la culture en place pour obtenir l’ETM (l’évapotranspiration maximale) de cette culture (hors pénurie d’eau). En déduire l’ETR en faisant intervenir l’état hydrique du sol.
ETo, évapotranspiration de référence (autrefois appelé « évapotranspiration potentielle »), correspond à la perte d’eau d’un gazon ras (c’est-à-dire maintenu au stade de la « montaison » à une hauteur proche de 15 cm) et bien alimenté en eau.
Sa valeur (autrefois mesurée à partir de lysimètres pesables) est aujourd’hui fournie par les services météorologiques au moyen de la formule de Penman –Monteith. Cette formule ajoute les effets du rayonnement à ceux du pouvoir évaporant de l’air obtenu par combinaison de la vitesse du vent et de l’humidité de l’air. A noter que l’évapotranspiration de référence ne dépasse guère 6 mm/j en plein été sous nos climats, valeur pour laquelle toute l’énergie radiative du jour est consommée pour réaliser cette évaporation.
ETM est déduite de l’ETo par le biais du coefficient cultural (Cf. diapositive 5) qui traduit l’influence de la phénologie de la culture considérée ( toutes les cultures ne sont pas au même stade phénologique à une date donnée !!)
ETR est déduit de l’ETM au moyen d’une estimation de la facilité d’extraction de l’eau par les racines qui dépend de l’humidité du sol exploité par ces racines, de la nature du sol et de la profondeur d’enracinement de la culture (Cf. diapositive 8). Il nous faudra plusieurs diapos pour venir à bout de cette question
Cette figure permet d’avoir une estimation du rapport entre l’ETM et ETo pour une culture en fonction de son stade phénologique, porté dans des encadrés de couleur et non pas en fonction d’une date du calendrier.
En l’absence de culture, on garde la valeur 0,2 pour le sol nu : ceci traduit grosso modo les séquences d’évaporation du sol nu, périodiquement re-mouillé par des pluies.
Lorsque la végétation s’installe, le rapport augmente avec le taux de couverture du sol par le feuillage (appelé souvent L.A.I.: Leaf area index). Lorsque cet LAI atteint et dépasse 3 (il peut aller jusqu’à 6) le rapport ETM/ETo sature entre 1 et 1,1 en fonction de la hauteur des cultures (les valeurs très supérieures trouvées parfois dans certaines publications anciennes sont le fruit d’effet « pots de fleurs » dus à la trop faible dimensions des essais agronomiques, dits « carrés latins », de l’époque).
A la maturation des organes reproducteurs, ce rapport décroît, la culture n’évapotranspirant plus guère même si l’eau est disponible dans le sol.
Pour matérialiser l’importance de la disponibilité de l’eau dans le sol, observons l’évolution de l’évapotranspiration de deux couverts de tomates cultivées sur du sable alluvial dans la vallée du Soraya au Portugal. Les deux champs ont été irrigués juste avant le début de l’expérience, le 9/07 au matin.
Sur le premier, une irrigation a lieu tous les deux jours (courbes en traits pleins), ce qui garantit un confort hydrique permanent aux tomates.
Sur le second, on n’irrigue plus jusqu’au 16/07.
On voit comment, à partir du 3ème jour, l‘évapotranspiration du deuxième champ diminue par rapport à celle du premier, bien alimenté en eau : le rapport ETR/ETM est d’autant plus bas que la réserve en eau du sol diminue !
Dans cette expérience, les choses vont très vite car le sol sableux a une faible capacité de rétention de l’eau (Cf. diapositive 9 et suivantes). Il en irait autrement sur un sol limoneux ou argileux.
On a porté sur cette figure la réduction d’évapotranspiration observée dans les mêmes circonstances au cours de plusieurs séquences.
On observe que les choses se reproduisent à l’identique pour une même extraction d’eau.
On en déduit que cette réduction est une fonction univoque de la quantité d’eau restante dans le sol.
On traduit cette propriété de la façon suivante :
- Le rapport ETR/ETM, traditionnellement appelé « coefficient de sécheresse », varie de 0 à 1.
- Il est constant et égal à 1 pour une gamme d’humidité qui correspond à une extraction d’eau aisée pour les racines des plantes. On est dans la « réserve facilement utilisable » (RFU)
- Il décroît ensuite d’autant plus que la quantité d’eau dans le sol disponible pour les plantes diminue. On est dans la «réserve difficilement utilisable » (RDU)
Le rapport RFU/RU varie, selon les conditions pédoclimatiques, de 1/3 à 2/3.
Ce graphique montre ce que représentent les termes RU (Réserve Utile), RFU (Réserve Facilement Utilisable), RDU (Réserve Difficilement Utilisable) et leurs bornes :
Le sol peut être décomposé en deux parties :
– Le sol sec
– les interstices de différentes tailles qui peuvent être remplis d’eau ou d’air.
Imaginons un sol après une forte pluie :
– L’eau qui remplit les plus gros pores est très faiblement liée et s’écoulera vers la nappe phréatique, un peu comme l’eau du pot trop arrosé coule dans l’assiette en bas. On appellera cette eau « eau gravifique »
– Après ressuyage de l’eau en excès, le sol humide retiendra l’eau qui est à un potentiel hydrique de moins de 0.3 bars (0.03 MPa). Ce potentiel est lié à la loi de Jurin et est d’autant plus faible que les pores sont fins (attention, il s’agit d’un potentiel négatif : -10 bars est inférieur à -5 bars !).
– Les plantes arrivent à extraire, par leurs racines, l’eau liée jusqu’à des potentiels voisins de -16 bars (-1.6 MPa).
– En dessous de ce potentiel, il reste encore de l’eau dans le sol. Pour l’extraire, on passera celui-ci au four et on pourra fabriquer ainsi une brique sèche !
– L’eau du sol comporte ainsi 4 parties dont seules les deux comprises entre 0.3 bars (capacité au champ) et 16 bars (point de flétrissement permanent) sont utilisables par les plantes.
Cette figure qui présente l’évolution de la relation entre potentiel hydrique et humidité du sol avec la granulométrie des constituants du sol permet de comprendre pourquoi la quantité d’eau contenue dans un sol et utilisable par les plantes sera très fortement dépendante de cette granulométrie :
L’intervalle d’humidité entre les seuils de potentiel 0.3 et 16 bars est d‘autant plus fort que la granulométrie d’un sol est faible.
Cette figure, déduite de la précédente, permet de dire que :
• Plus un sol est fin, plus forte est la valeur de l’humidité au point de flétrissement permanent
• Plus un sol est fin, plus forte est la valeur de l’humidité à la capacité au champ
• Plus un sol est fin, plus grand est l’intervalle d’humidité entre le point de flétrissement permanent et la capacité au champ.
Il en résulte que, pour une même profondeur d’enracinement, la réserve utile d’un sol sera d’autant plus grande que la granulométrie sera faible :
Dans l’exemple, on passera de 80mm/m pour le sable à 180mm/m pour le limon et à 220mm/m pour l’argile
Bien sûr, un sol réel est une combinaison de ces différents constituants et il faudra faire analyser ce sol pour déduire de sa composition sa réserve utile par mètre de profondeur (information que fournissent tous les laboratoires d’analyse des sols)
Nota: l’intérêt de l’augmentation de la réserve utile par mètre n’est clair que tant que n’interviennent pas les phénomènes de retrait-gonflement caractéristiques d’une importante proportion d’argile. Ces phénomènes compliquent fortement la gestion de l’irrigation
Pour une constitution granulométrique donnée, la réserve utile d’un sol dépendra fortement de la capacité d’enracinement des plantes.
Ainsi des céréales d’hiver exploiteront le sol au moins jusqu’à 1m de profondeur (à condition qu’il fasse lui même au moins 1m ce qui est souvent le cas d’un limon de plateau mais pas pour une arène granitique) tandis que la laitue n’ira pas au-delà de 40 cm !
Dans le premier cas, un limon ayant une réserve potentielle de 180 mm/m en fera sa réserve réelle (180 mm) tandis que la réserve réelle pour la laitue ne sera que de 72 mm (0.4 x 180).
Nous venons de voir l’importance de l’interaction entre sol, climat et culture pour le déterminisme de la quantité d’eau consommée par la végétation naturelle et les cultures pour assurer leur croissance et la production d’organes récoltables.
Il nous faut à présent aborder la question de l’eau non consommée, c’est-à-dire de celle qui, à partir de la pluie, va nourrir les aquifères (nappes phréatiques), les ruisseaux et rivières et permettre les autres usages de l’eau par les ruraux et les urbains.
Cette eau non consommée correspond, en situation naturelle, à la somme de l’eau de ruissellement et de l’eau qui s’infiltre en profondeur, souvent appelée «eau de drainage ».
Les hydrologues l’appellent « pluie efficace » (attention à ce terme qui est ambigu puisque les agronomes parlent aussi de pluie efficace lorsqu’ils désignent la pluie absorbée par le sol). Nous l’appellerons « recharge » par raccourci de « recharge des aquifères ». En situation artificielle, lorsque l’action de l’homme joue au travers de l’irrigation, il est intéressant d’utiliser le terme de « restitution au milieu » qui inclut l’irrigation en valeur algébrique. Ainsi, sous une culture irriguée en zone semi aride, la restitution au milieu peut-elle être négative lorsque la dose d’irrigation est supérieure aux quantités drainées et ruisselées !
A l’échelle du bassin versant, la restitution au milieu est la somme de celle qui se produit sur chaque élément du bassin. Elle va donc être fortement dépendante des végétations naturelles et des systèmes cultures présents sur le bassin. C’est pour cette raison que l’on peut lire que « la ressource en eau disponible sera dépendante de la composition du paysage ».
Il est donc important d’établir le lien entre systèmes de cultures, pédoclimat et recharge des aquifères. Les travaux sur cette question sont beaucoup plus récents que ceux sur la consommation en eau des cultures.
La figure ci-dessus, illustre par exemple la différence de comportement en douze points du territoire français, tels que résultant du modèle STICS :
– d’une culture pluviale d’hiver et d’une culture pluviale d’été (partie supérieure)
– d’une culture pluviale d’été et d’une culture irriguée d’été ( partie inférieure)
La recharge d’une culture d’hiver est supérieure à celle d’une culture d’été parce que la perte par évaporation du sol est moindre sur le cycle annuel complet.
La recharge de la culture irriguée est moindre parce qu’elle consomme davantage d’eau ( c’est parce qu’en consommant plus, elle produit plus qu’on l’irrigue!).
La figure ci-dessus donne une hiérarchie de comportements environnementaux (en terme de recharge annuelle) pour divers couverts (systèmes de cultures), obtenus en combinant les résultats du modèle STICS (C. de Printemps, C. d’hiver, C. Irriguées, Prairie, Vigne) et BILJOU (Feuillus et conifères) :
– Les feuillus restituent plus au milieu que les conifères car leur période de production est plus courte ;
– La vigne sur sol nu restitue plus que la prairie parce que l’évaporation du sol est faible. Il en irait différemment de la vigne enherbée ;
– Les systèmes de cultures d’hiver restituent plus que ceux de cultures de printemps car l’évaporation du sol y est plus faible ;
– Les cultures irrigués consomment plus d’eau donc en restituent moins au milieu ;
(Nous n’avons comparé ni vigne avec feuillus, ni prairies avec conifères car les résultats de cette comparaison pourraient être sujets à des biais inter-modèles, conifères et feuillus étant modélisés avec BILJOU tandis que prairies et vigne le sont avec STICS)