COMPLEMENTS
C1. Tableau des principales propriétés de l’eau.
Propriété |
Valeur |
Commentaires |
Masse molaire |
18,015 g mole-1 |
mole : voir p.10 |
Volume molaire |
18 cm3 mole-1 |
|
Composition isotopique |
99,73 % d’ 1H2 O16 |
isotope : voir p. 6 |
Température de fusion (fonte) |
°C |
à la pression atmosphérique |
Température d’ébullition |
100°C |
à la pression atmosphérique |
Masse volumique |
1000 kg m-3 (valeur maximale) |
à 4°C |
Chaleur latente de vaporisation |
2,454 106 J kg-1 |
à 20°C |
Chaleur latente de sublimation |
2,826 106 J kg-1 |
à 0°C |
Chaleur latente de fusion |
0,325 106 J kg-1 |
à 0°C |
Chaleur spécifique |
4187 J kg-1 °C -1 ou 75,4 J mol-1 °C -1 |
à 20°C |
Viscosité |
102 10-5 Pa s |
à 20°C |
0,0728 N m-1 |
à 20°C |
C2 - Deux épisodes de la recherche des propriétés de l’eau : l’eau « anormale » et la « mémoire de l’eau ».
Il y a plusieurs voies par lesquelles la connaissance scientifique avance. Ce peut être à travers une théorie proposée, amendée puis remplacée par une autre après des preuves expérimentales solides : ce peut être un fait expérimental bien établi qui vient bousculer un domaine de connaissances parce qu’il constitue une anomalie. Ce peut être autre chose, comme un artefact expérimental. L’histoire de l’eau anormale (B. Gingold, 1974) s’inscrit dans cette dernière catégorie.
En 1961, le Soviétique N.N. Fedyakin, physicochimiste des phénomènes capillaires, étudie les propriétés de l’eau et les phénomènes de surface dans des tubes capillaires très fins (< 50 microns) en verre ou en quartz. Il observe la formation de « gouttes » de condensation (on parle plus précisément de « condensats liquides »). Il recueille cette eau et découvre qu’elle a des propriétés différentes de celle de l’eau « normale ». Il émet alors l’hypothèse qu’il s’agit d’une eau dont la structure aurait été modifiée par ses interactions avec la surface interne des capillaires sur lesquelles elle se dépose. En collaboration avec Fedyakin, ces résultats sont aussi étudiés en détail par B. V. Deryagin physicochimiste mondialement reconnu et ses collaborateurs. Un appareillage est mis au point qui permet de produire de façon contrôlée cette eau et en découvrir les propriétés. Très vite de nombreux laboratoires du monde entier se lancent dans l ‘étude de cette « eau anormale » ou « poly-eau » ou eau polymérique » (polywater en anglais). Cette eau est « polymérique » au sens où elle forme des chaines formées de groupements moléculaires qui se répètent. Mais ces groupements ne sont pas le fait des molécules d’eau mais des molécules de silice. Ils ont cependant des durées de vie trop courtes pour être considérées comme de vrais polymères (Teixeira, 2010).
On assiste alors au fait que ces découvertes sur la structure de l’eau polymérique servent de référence (de nouveau paradigme) pour expliquer diverses anomalies que chacun trouve dans son domaine, que ce soit en minéralogie, en cryologie, en astronomie, en électrochimie... (Gingold, 1974). L’année 1970 bat le record du nombre de publications sur le sujet. L’eau anormale sort des laboratoires et inonde (sans jeu de mots) le grand public.
En fait cependant, très tôt les chercheurs sont divisés entre partisans de l’existence de cette poly-eau et ceux pour lesquels il s’agit d’un artefact expérimental. Procédure normale, les uns et les autres s’affrontent dans les revues scientifiques, notamment les plus prestigieuses, Nature et Science.
Petit à petit, en quelques années, les résultats expérimentaux font pencher la balance du côté de l’artefact à savoir que « dans ces petits capillaires l’eau très pure [qui y a été introduite] dissout suffisamment de silice [provenant des parois] pour être en fait une solution colloïdale hautement concentrée » (Teixeira, 2010)[7]. On a donc une sorte de contamination de l’eau de ces capillaires par les parois de ces derniers ; c’est cette contamination qui est responsable des propriétés anormales de la poly-eau. En Union soviétique, Fedyakin doit s’expliquer devant l’Académie des Sciences et reconnaître que son hypothèse est erronée. En 1973, il signe un article dans Nature, précisant que « les propriétés des condensats peuvent être expliquées sans avoir recours à l’hypothèse d’une eau polymérisée ».
Dans cette histoire « les résultats n’étaient ni faux ni même contestables. L’erreur a été de les attribuer à une nouvelle forme d’eau » (Teixeira, 2010). Il y aurait bien des choses à dire sur cet épisode qui, globalement a fait beaucoup progresser la connaissance des phénomènes qui ont lieu à la surface des solides.
On va maintenant voir que l’histoire de « la mémoire de l’eau », bien qu’ayant des points communs avec l’eau polymérique, est cependant très différente.
La « mémoire de l’eau ».
Cette expression (provenant sans doute d’un journaliste) est apparue lors d’une controverse très médiatisée, commencée en 1988, après la publication de résultats expérimentaux extrêmement surprenants concernant les propriétés de solutions diluées. Ces résultats laissaient penser en effet que l’eau qui a été mise en contact avec une substance (soluté) conserve les propriétés de celle-ci alors que statistiquement il n’y a plus de molécules de cette substance. La parution, en 1988, d’un article publié dans la revue Nature par l’équipe de Jacques Benveniste, directeur de recherche à l’Inserm à cette époque, mondialement connu lui aussi pour ses travaux en immunologie, lance la controverse. L’article décrit la réaction de globules blancs au contact d’un anticorps. Il conclut que les globules blancs continuent de réagir alors que l’anticorps (jouant le rôle de soluté ici) est dilué à un point tel que statistiquement il n’existe plus dans la solution. D’où l’expression « mémoire de l’eau » pour exprimer le fait que l’eau « garde la mémoire » de certaines propriétés des solutés qui y ont été dissous. Précision extrêmement importante dans cette affaire et qui explique sans doute en grande partie son extraordinaire impact (pour ne prendre qu’un exemple, le journal « Le Monde » consacre sa Une du 30-06-1988, sur plus d’une page à cet événement !) les auteurs présentent leurs résultats comme une démonstration de la validation scientifique de l’homéopathie.
De façon complètement inhabituelle la revue Nature[8] avait mis deux conditions à la publication de cet article dont Benvéniste est le dernier des 12 signataires, le premier étant la technicienne qui a fait la plus grande partie des « manips », E. Davenas : la première que deux laboratoires indépendants reproduisent les résultats de Benvéniste, la seconde qu’une équipe de personnes choisies par la revue soit admise à faire une investigation de son laboratoire. Benvéniste accepte ces conditions.
Les problèmes commencent alors : d’une part le protocole expérimental est controversé, d’autre part les résultats des nouveaux essais sont tantôt conformes à ceux de Benvéniste, tantôt différents. De plus, la situation se complique par les réactions de l’Inserm qui finit par évincer Benvéniste, par les multiples réactions de ce dernier qui demande sans l’obtenir le soutien des homéopathes pour continuer ses recherches (il crée alors une société anonyme pour espérer continuer), qui refuse l’aide de collègues français physiciens, par les vexations qu’il subit (la commission d’investigation dépêchée comme convenu par Nature comprend un expert en fraudes scientifique et un magicien spécialiste des truquages !) par la publication de nouveaux résultats eux aussi difficilement crédibles concernant la transmission électromagnétique de propriétés d’une solution vers de l’eau pure.
J. Benvéniste, très affecté par la tournure qu’ont pris les évènements, est mort en 2004 à l’âge de 69 ans. L’histoire, dont ce résumé ne donne qu’un aperçu infime[9] n’est pas terminée puisque, du fait des multiples et très importants enjeux scientifique, thérapeutiques et économiques de cette question, un grand nombre de laboratoires de part le monde continuent de travailler sur cette énigme.
Il y aurait beaucoup à dire sur la comparaison de ces deux épisodes de la recherche ; on peut retenir :
1. Toutes deux montrent à quel point l’eau reste un corps à la fois, banal, d’une importance vitale dans ses multiples utilisations et pourtant encore loin d’être parfaitement connu. Ainsi, en 2005 la revue « Le Courrier du CNRS » a publié une plaquette présentant dix problèmes non résolus en science ; l’un d’entre eux concernait la structure de l’eau.
2. L’eau anormale était en fait non pas de l’eau pure mais une solution de silice aux propriétés particulières et qui ne remettait pas en question certaines bases de la physique comme l’existence d’une supposée « mémoire de l’eau » l’impliquerait. Surtout les résultats concernant l’eau polymérique étaient reproductibles, ce qui constitue du point de vue scientifique un critère très fort, souvent décisif, de validité. Dans le cas de « la mémoire de l’eau » les résultats ne sont vérifiés que de façon statistique c’est-à-dire que lorsqu’on répète le même protocole, l’effet attendu (que l’eau garde en mémoire des propriétés des molécules de solutés avec laquelle elle a été au préalable mise en contact, directement ou indirectement) est parfois plus fréquent que son absence, mais non systématique. Autrement dit, il reste quelque chose d’aléatoire dans la reproductivité de ces résultats. Cela signifie clairement que certains phénomènes inconnus donc non contrôlés, interviennent dans leur explication.
De plus le volet « médical » est absent de l’eau anormale alors qu’il est primordial dans le cas de « la mémoire de l’eau ». En effet si non seulement l’eau peut conserver des propriétés de solutés avec lesquelles elle a été en contact, mais que ces propriétés peuvent être transmises sur de grandes distances, les conséquences thérapeutiques sont immenses.
3. Contrairement au cas de l’eau polymérique, la polémique n’a pas du tout fonctionné de la même manière dans les deux cas. Pour l’eau anormale, l’affrontement s’est fait de manière classique à travers des publications lesquelles ont fini par converger progressivement et finit par apporter une explication convaincante, reconnue et admise par tout le monde, y compris Deryagin. Dans le cas de « la mémoire de l’eau » les choses sont très différentes. D’une part la remise en cause scientifique qu’exige l’acceptation des résultats publiés dans l’article de Nature est énorme, fondamentale, donc complètement improbable au départ. Malgré cela, Benvéniste et ceux qui le soutiennent font largement état dans les média de leurs résultats et de leurs implications homéopathiques. Ils le font avant d’avoir l’assurance que leurs premiers résultats aient été vérifiés par d’autres équipes reconnues. Ce choix active des réactions et des tensions qui brouillent le débat, et surtout empêchent, en France du moins, un certain nombres de coopérations scientifiques indispensables de se faire, notamment avec des spécialistes de l’eau ou des physiciens de renom (comme G. Charpack). Un vieux clivage se reforme avec d’un côté la science officielle et de l’autre tous ceux qui, pour des raisons diverses, soutiennent Benvéniste sans pour autant apporter de preuves en sa faveur. On a l’impression qu’une opportunité assez unique de coopération a été perdue et que ce n’est pas en France que la solution de cette énigme émergera un jour. Quant à Benvéniste, dont l’attitude devant les attaques et blessures qu’il a subies n’a pas souvent facilité le rapprochement des parties, il s’est retrouvé petit à petit isolé et très atteint psychologiquement. Il est mort en 2004.
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