Architecture
La plante virtuelle sur laquelle on opère les simulations comporte quatre tronçons conducteurs identiques en série (figure 12). Celui du sommet est surmonté d’un élément source doté de photosynthèse et transpiration. Un tronçon type racine à la base peut absorber l’eau du sol.
Figure 12. Structure de la plante virtuelle utilisée dans les simulations : quatre tronçons élémentaires de tige en série sont surmontés par un élément source (feuille). L’élément racine est un puits de carbone capable d’absorber l’eau du sol.
Echanges gazeux
La photosynthèse et la transpiration varient en créneau 12h/12h sauf lorsque l’on impose des conditions de nuit ou jour continus et prolongés (figure 13).
Conditions de sol
Le compartiment sol est supposé ici saturé et de volume illimité, de sorte que son potentiel hydrique est constamment nul.
Fonctionnement hydrique et carboné : paramètres
La valeur des principaux paramètres utilisés dans les simulations est détaillée dans le tableau 1, à la fin de ce document. La signification des paramètres est donnée dans le corps du texte ou dans les compléments.
Figure 13. Variation des conditions de photosynthèse (Assimilation nette, AN) et de transpiration (TR) potentielles imposées à l’élément feuille (unités arbitraires)
Figure 14. Structure de la plante modélisée pour l’expérience virtuelle de double décortication annulaire. La communication phloémienne entre les tronçons élémentaires St2, St3, St4 peut être interrompue à volonté alors que la communication xylémienne n’est pas touchée.
V-2 RESULTATS
Deux expériences virtuelles destinées à mettre en évidence l’effet de modifications du statut trophique sur la croissance diamétrale ont été pratiquées. D’une part une double décortication annulaire : elle permet de supprimer les échanges de sucre entre trois tronçons adjacents, ce qui crée dans la plante à un même moment trois situations trophiques extrêmement contrastées. D’autre part des expériences en jour ou nuit prolongés qui ont un effet global sur le statut trophique de l’ensemble de la plante. Des expériences réelles de même nature ont été pratiquées sur de jeunes noyers en chambre climatisée et nous ont permis de caler approximativement les paramètres utilisés dans les simulations (Daudet et al., 2004). Nous ne cherchons pas ici à valider quantitativement le modèle proposé en le confrontant aux mesures. Notre objectif est plus simplement de montrer comment la prise en compte du couplage eau-carbone permet d’aborder des problèmes complexes où les fonctionnements hydrique et carboné interagissent.
1. Double décortication annulaire
Après une période en conditions normales (cycle jour/nuit 12h/12h) on opère une double décortication annulaire (figure 14) en interrompant la communication phloémienne de l’élément St3 avec ses voisins St4 (en bas) et St2 (en haut). La figure 15 présente les résultats de simulation des variations de diamètres des tronçons élémentaires.
On constate que pendant les 200 premières heures de cycle jour/nuit en alternance, un régime d’équilibre s’établit de façon identique dans tous les tronçons élémentaires. Le diamètre des troncs varie de façon très répétitive et l’on observe la superposition de deux phénomènes :
1. une croissance diamétrale constante d’environ 20 mm par jour
2. une variation périodique diurne d’environ 60 mm d’amplitude.
Cette variation périodique du diamètre des troncs répond aux variations de potentiel hydrique et est à mettre sur le compte de l’élasticité des tissus. Le diamètre minimum est observé en période diurne quand le xylème est sous tension du fait de la transpiration. La nuit en l’absence de transpiration, les tensions disparaissent et le diamètre devient maximal.
Figure 15. Variation des diamètres des tronçons St2, St3 et St4 (cf. figure 14) au cours de l’expérience virtuelle de double décortication annulaire. La petite photo à droite montre la décortication inférieure, à la base de la tige
La décortication annulaire qui est pratiquée à la fin de la neuvième alternance nuit/jour entraine très rapidement une divergence des courbes de variation de diamètre et l’on observe sur les différents tronçons étudiés :
1. tronçon supérieur (St2): une nette accélération de la croissance diamétrale qui s’accompagne d’une diminution progressive de l’amplitude de variation diurne. Ces deux phénomènes sont dus à l’engorgement des tissus de la tige par les sucres issus de la photosynthèse qui ne peuvent plus s’évacuer, ce qui entraine une forte augmentation de la pression de turgescence
2. tronçon médian (St3) : un arrêt brutal de croissance et une diminution du diamètre. Ce tronçon ne recevant plus de sucres solubles voit son niveau trophique se dégrader d’où une perte de turgescence.
3.tronçon inférieur (St4) : une légère diminution de la croissance.
2- Périodes jour/nuit prolongées
Le protocole fait se succéder quatre périodes (figure 16):
Période 1 : succession de quatre cycles jour/nuit 12h/12h. On observe comme précédemment la superposition d’un effet croissance (environ 45 mm pour 100 heures) et d’un effet élasticité des tissus avec une variation diurne du diamètre d’environ 80 mm.
Période 2 : éclairement continu pendant 200 heures. La croissance diamétrale se poursuit de manière continue à un rythme sensiblement plus rapide que précédemment ; la variation élastique de période 24h a disparu.
Période 3 : succession de cinq cycles jour/nuit 12h/12h. On retrouve l’effet d’élasticité jour/nuit mais la croissance est presque complètement arrêtée.
Période 4 : nuit prolongée. On observe une décroissance du diamètre, liée à une baisse du niveau trophique de l’arbre comme dans le cas de la décortication annulaire.
Il est possible de relier toutes ces observations au niveau des réserves carbonées atteint par l’arbre en réponse aux régimes lumineux imposés. La encore les données expérimentales sont qualitativement en accord avec ces simulations.
Figure 16. Variation des diamètres des tronçons St2, St3 et St4 (cf. figure 14) au cours de l’expérience de variation de la durée de la photopériode. Des situations de jour ou de nuit prolongés alternent avec des cycles de photopériodes 12h/12h (voir texte).
3- Confrontation avec les mesures expérimentales
Des expérimentations ont été réalisées sur de jeunes noyers de 3 ans, cultivés en pots dans des chambres de culture (Daudet et al., 2004). Les figures 17 et 18 montrent les résultats obtenus pour des doubles annélations et des rythmes d’éclairement variables. Malgré une assez forte variabilité des données expérimentales entre les arbres étudiés, nous avons observé des tendances très semblables à celles prédites par le modèle présenté ci-dessus. On voit en plus sur la figure 17 l’effet drastique d’une sécheresse appliquée en fin d’expérimentation, qui stoppe l’accroissement en diamètre des tiges, les niveaux médian et inférieur étant plus affectés que le niveau supérieur.
Figure 17. Réponse à la double annélation d’un jeune noyer (Juglans regia) en chambre climatisée : variations du diamètre des trois tronçons haut, moyen et bas, correspondant respectivement à St2, St3 et St4 de la figure 14. On notera la grande similitude avec la réponse théorique présentée sur la figure 15.
Figure 18. Réponse à différents régimes de photopériode d’un jeune noyer (Juglans regia) en chambre climatisée : variations du diamètre à deux niveaux dans la tige (haut et bas). Comme pour la figure 17, nous notons la très bonne similitude avec les simulations par le modèle présentées sur la figure 16.
4- Un phénomène curieux : le recyclage de l'eau
Les simulations numériques effectuées ont fait apparaître à une autre échelle un phénomène peu connu mais dont l’existence paraît s’imposer. Considérons un organe puits (ex. fruit, racine) sans croissance ni transpiration attaché à la plante support par un « pédoncule » vascularisé relié au xylème et au phloème du système vasculaire de la plante. La satisfaction des besoins en carbone de cet organe puits suppose une entrée continue de sucres solubles par le phloème puisque c’est son seul moyen de recevoir des sucres. Le maintien d’un état hydrique stable dans cet organe impose une sortie d’eau apoplasmique équivalente. Autrement dit, l’entrée de sève élaborée par le phloème dans le pédoncule doit s’accompagner d’une sortie d’eau apoplasmique par le xylème en quantité égale (figure 19 a). On notera que si l’organe est en croissance et qu’il transpire le problème de son bilan hydrique se poserait un peu différemment.
A l’échelle cellulaire également (ou à l’échelle des tissus) l’examen détaillé des résultats de simulations montre systématiquement l’existence simultanée d’un flux symplasmique et d’un flux apoplasmique de sens contraire (figure 19 b). Le flux symplasmique qui permet la couverture des besoins trophiques des tissus entraine en effet l’existence d’un flux apoplasmique de « recyclage » de l'eau, de même intensité mais en sens inverse.
Figure 19. Phénomène hypothétique du recyclage de l’eau : a) dans un organe puits, b) à l’échelle cellulaire (voir texte).
Ainsi la dualité sève brute – sève élaborée reconnue depuis longtemps à l'échelle de la plante entière et qui met en jeu les tissus spécialisés du xylème et du phloème, se retrouverait-t-elle au sein de tous les tissus, à l'échelle cellulaire, entre symplasme et apoplasme.